Voici ce qu’écrit Voltaire dans l’article « Torture » de son « Dictionnaire philosophique » :
« Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, mais ayant toute l’étourderie d’une jeunesse effrénée, fut convaincu d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main et qu’on brûlât son corps à petit feu : mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer le chapeau sur la tête. »
Condamné pour « impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables » notre chevalier sera soumis à la question ordinaire et extraordinaire. On renonça à la seconde afin qu’il eût la force de monter sur l’échafaud. Ce qu’il fera avec une pancarte indiquant ceci : « Impie, blasphémateur et sacrilège exécrable ». Il sera décapité d’un coup de sabre et son corps sera brûlé avec un exemplaire du « Dictionnaire philosophique » cloué sur le torse. « Dictionnaire » qu’on a retrouvé (qu’on aurait retrouvé ?) chez lui lors d’une pseudo-enquête judiciaire.
On renoncera à lui arracher la langue. Giordano Bruno lui, nu sur le bûcher eut la langue entravée par un mors de bois. D’autres témoignages le concernant disent qu’elle fut coupée.
Cette obsession terrifiante de la langue coupée dit la haine des bourreaux pour la pensée libre, exprimée, assumée. Leur volonté en actes de faire taire pour de bon.
Mais ce qu’ignoraient les bourreaux c’est que la pensée libre ne meurt jamais. Elle renaît toujours de ses cendres mêmes.
La Convention réhabilitera le chevalier le 25 Brumaire de l’an II (15 novembre 1793).
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Que demandait Voltaire dans l’article « Torture » ? – La promulgation de deux lois :
« La plus remarquable est la tolérance universelle, la seconde est l’abolition de la torture ».
Avec la lutte contre le fanatisme, le combat contre l’arbitraire d’un système judiciaire inféodé à une loi religieuse s’ouvre peu à peu l’espace de ce qui deviendra plus tard notre loi républicaine commune de 1905.
Ce long chemin remonte sans doute à des revendications de la liberté de penser plus anciennes, voire antiques, à des prémices timides d’autonomisation dès le Moyen Age. Ce que Ferdinand Buisson appelle « le lent travail des siècles ». Ce n’est pas le lieu ici de parcourir ce processus, mais il faut marquer la profondeur complexe et passionnante de la maturation de l’idée de laïcité. Nous sommes aujourd’hui dans ce processus continué, toujours à recréer, à faire vivre.
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Nous savons tous qu’il il ne suffit pas qu’une loi existe dans un texte pour qu’elle ait force et vigueur. Surtout celle-ci. Elle ne doit pas être appliquée passivement si on peut dire, mais partagée consciemment.
Et aujourd’hui en France nous nous trouvons pris dans un étau entre intégristes religieux et extrême-droite récupérant la juste idée de laïcité à des fins troubles. Prenons garde à ce double miroir enfermant.
Les pièges des assignations à religion, qui justement ne sont pas dans l’esprit de notre loi, les pièges des identités meurtrières, menacent la liberté absolue de conscience et le respect citoyen.
Il nous faut donc trouver les voies pour que la conscience laïque se développe, se partage entre tous. Et particulièrement entre tous les futurs et les jeunes citoyens : il y a là un enjeu essentiel. Si l’idéal n’est pas présent là, alors nos difficultés seront immenses. Il faut une pédagogie de la laïcité, plus intelligente que la propagande insidieuse ou violente de ses ennemis.
N’oublions pas dans cette démarche que d’autres questions essentielles impactent l’application de la laïcité : la question de l’égalité de l’homme et de la femme, constitutive de la franc-maçonnerie du DROIT HUMAIN depuis 1893, la question sociale, celle du modèle économique, celle de la représentation citoyenne et démocratique, celle de l’école et de la culture, de la place donnée au savoir, celle aussi bien sûr du cours du monde.
N’oublions pas que si des difficultés apparaissent, et il y en a, elles ne sont sans doute pas nées des toutes dernières années. L’Histoire a de plus longues ondes.
La laïcité est une pièce maîtresse du dispositif républicain qui nous est cher. Elle est liée à l’ensemble. Elle n’est pas isolable, même si évidemment on doit aborder ce qui relève d’elle de manière particulière. Elle se relie à la Liberté, à l’Égalité, à la Fraternité chère aux francs-maçons, à un idéal de paix, de respect de chacun.
Il faut relever le défi que nous lancent les fanatiques et les régressifs d’aujourd’hui en ayant pleinement conscience de la responsabilité qui nous incombe. Ce chantier est essentiel. L’Histoire ne s’arrête pas. A nous de prendre la mesure la plus juste possible des enjeux avec des outils appropriés. Et de trouver les moyens pour que la laïcité soit active et garde la force d’avenir qui est en elle.
Alain Michon,
Grand Maître National
de la Fédération française du DROIT HUMAIN