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LES CONSTATS TOUT D’ABORD
Que l’on soit ruraux ou urbains, habitants de pays en voie de développement ou pays industrialisés, jeunes ou âgés, actifs ou inactifs … l’immédiateté et la lenteur sont deux appréciations, deux notions, du temps ou du mouvement philosophiquement et socialement différentes … car les rythmes et les besoins sont pluriels.
En effet, la lenteur comme la vitesse ou l’immédiateté, ne sont que des perceptions relatives.
Si, l’immédiateté est assimilée aux notions de rapidité, de réactivité, de réflexe, de précipitation ou d’instantanéité, elle suggère toutefois une notion permanente d’urgence alimentant parfois une angoisse pour l’individu.La lenteur, au contraire, se définit comme un manque de rapidité dans l’action, avec parfois une connotation péjorative car souvent associée à un manque de réactivité, de compétence, d’intelligence voire (même) à une forme de paresse ou de mollesse. Elle est parfois, considérée comme un obstacle si on se réfère à la lenteur administrative, à la lenteur de certaines décisions politiques, ou encore à la lenteur des connexions numériques, etc.
La disgrâce de la lenteur dans notre société moderne revêt de multiples aspects :
- Attendre devient une anomalie insupportable ;
- la révolution numérique a multiplié nos possibilités de connaissances, d’efficacité, de virtuosité, d’autonomie, notre soif du toujours plus et… plus vite.
- Sur un plan civilisationnel, l’omniprésence de la technologie, d’internet et des réseaux sociaux sont la source et l’essence de notre besoin d’immédiateté : ils offrent une opulence en nous permettant d’établir des liens plus nombreux que les générations précédentes et ce, à l’échelle de la planète, mais nous devenons dépendants et sommes soumis à un flux d’informations sans filtre, trop rapides pour être analysées, comprises et interprétées ; la fenêtre éternellement ouverte sur le monde avec sa surinformation sans prise de recul nous déconnecte de notre environnement quotidien et de la connaissance des autres en profondeur, mettant à mal les échanges amicaux, sociaux ou culturels. Ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas suivre ce rythme effréné se trouvent exclus.
- Sur un plan collectif, qu’en est-il de la démocratie et du monde politique prisonnier lui aussi d’un dilemme entre l’urgence du présent et les considérations du long terme, car il ne faut pas déplaire pour se faire réélire mais (et cependant) il convient par ailleurs d’élaborer un projet de transformation pour construire l’avenir et qui nécessite durée.
Dans un contexte d’apologie de la vitesse ou de la performance, la lenteur est dénigrée et même dans certains cas, accusée d’attentisme malsain ou criminel face à des urgences climatiques, écologiques, sociales, médicales ou judiciaires. La lenteur d’esprit, le désœuvrement n’ont rien de noble.
Toutefois, y a-t-il vraiment contradiction entre « rapidité de l’avancée technique » et « lenteur de réflexion d’un comité d’éthique » par exemple ? Le but ne serait-il pas de réconcilier ces deux temps qui rythment nos vies, à savoir le temps de la construction sociale, de la préparation, mais aussi de la récupération, de la rêverie, de la contemplation, de la créativité, de l’écoute, du partage, de l’échange, et …celui du « coup de génie » et de l’effort.
Car, on ne peut nier que la lenteur peut être synonyme de maturation de la pensée en associant, sang-froid, observation, patience, réflexion, pondération et faculté d’analyse avant l’action. C’est le temps du discernement, de la transmission, de la fécondité de la réflexion plutôt perçus comme étant des qualités. La lenteur s’inscrit dans un temps long et non un temps vide. L’important n’est pas seulement dans la rapidité de la réponse mais également dans son efficience.
D’ailleurs, dans les sociétés traditionnelles, orientales ou extrême-orientales, elle est souvent associée à une forme de sagesse : « vous avez la montre, nous avons le temps » souligne un proverbe africain.
RÉFLEXIONS
A bien y réfléchir,
Cette question pose (donc) différentes problématiques face au temps. Le paradoxe est que nous semblons être heureux de gagner du temps et que simultanément, nous ayons besoin de ralentir. Nous ne pouvons nier les avantages de l’immédiateté ; des exemples simples en attestent comme les nouvelles technologies, les moyens modernes de transport et de communication ; La rapidité est souvent vue comme une source de performance bien qu’elle ait un cout écologique, économique, humain et social.
- Écologique et économique : par la perte du rapport au temps, par le non-respect des rythmes de la nature et l’exploitation intensive des ressources naturelles. Ces temps et ces ressources doivent être respectés par l’homme .Au-delà d’un éloge de la lenteur, c’est le respect du rythme naturel, du temps géologique, le temps de la coévolution des espèces, qu’il faut réhabiliter ; nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller les ressources pour gagner du temps.
- Un cout Humain et social : par l’exigence de rapidité dans l’exécution des taches excluant les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les personnes malades … aux êtres lents, on préfère les dégourdis et les rapides.
Au lieu de gagner du temps, nous avons gagné la liberté de travailler 24 h sur 24, le travail a perdu son lieu dédié, nous sommes toujours joignables donc toujours réactionnels. Le temps est devenu de l’argent !
Toutefois ! …
Ce n’est pas l’immédiateté en soi qui pose problème, mais sa combinaison avec l’irréflexion, le conditionnement et la dépendance générée par des besoins d’assouvissement et de plaisirs immédiats. En d’autres termes, l’interrogation est de savoir : comment s’adapter et réinventer un art de vivre ensemble en dehors de cette tyrannie de l’urgence ? Comment maitriser l’emballement ? Comment ne pas tomber dans ce tourbillon du toujours plus vite en oubliant d’aller à l’essentiel, et surtout de manquer de recul ?
Nous avons plus de temps devant nous grâce aux nouvelles technologies, à l’intelligence artificielle, aux robots et pourtant nous souffrons de « famine temporelle » ; étrange époque où le temps se rétrécit subjectivement alors qu’il ne cesse de se remplir objectivement.
Nous sommes là au cœur de la problématique suggérée par la question : « comment redonner ses lettres de noblesse à la lenteur … ».
Le problème, est-ce la vitesse pour faire plus de choses ou est-ce l’absence de sens généré par cette vitesse, car l’immédiateté ne prend pas obligatoirement en compte le vrai et le faux, le bien et le mal et surtout le collectif en voulant tout contrôler tout de suite ?
Les effets positifs de l’immédiateté sont essentiellement reconnus par les loges dans le domaine de la santé permettant notamment une gestion de l’urgence efficace ; l’immédiateté s’avère aussi nécessaire par bien des aspects pratiques, sociaux, juridiques, climatiques et sont reconnus favorablement en ce qui concerne les moyens de transports ou d’organisation dans le monde de l’entreprise où la croissance fait tandem avec la vitesse telle une injonction absolue.
La lenteur quant à elle présente pour la plupart des loges de nombreux bénéfices individuels : elle permet de savourer le temps présent par une prise de conscience et un « lâcher prise » ; elle permet le contrôle de soi, la construction dans la durée en donnant de l’espace à la réflexion, à l’analyse, loin de la médiatisation de la presse écrite ou des réseaux sociaux.
C’est une posture intellectuelle ou le cheminement maturation, déconstruction, reconstruction revêt toute son importance.
Quoiqu’il en soit, vitesse et lenteur sont l’une et l’autre utiles, à condition de savoir les maitriser et d’y avoir recours à bon escient : l’urgence médicale par exemple a sa logique propre. Mais, n’oublions pas le rythme de la nature : le temps de germination, de maturation, de récolte.
QUELLES SONT LES PRÉCONISATIONS ?
Selon la plupart des rapports, la prise de conscience doit être individuelle et collective :
- Sur un plan individuel : réapprendre la patience c’est réapprendre à désirer en admettant ou acceptant la frustration, à écouter l’autre et s’écouter soi. Cependant, la lenteur ne peut être ni imposée ni instituée, elle ne peut être que suggérée, posée en exemple ; de plus en plus, des prises de conscience personnelles entrainent la mise en place de stratégies de protection individuelle pour retrouver une forme d’équilibre : déconnexion des portables et ordinateurs, techniques de méditation, pratiques de relaxation ; la slow attitude se développe, les publications se multiplient ;
On retrouve chez beaucoup le besoin de recréer un monde commun plus humain, retrouver une qualité de vie en cultivant les relations humaines, familiales, ou de voisinage, en réhabilitant la communication relationnelle trop souvent confondue avec la communication de consommation.
Cela repose sur une volonté individuelle de résister à l’agitation – à la peur du vide- , de renoncer à certains possibles , de hiérarchiser , de prioriser mais aussi de revaloriser les interactions humaines afin de redonner une place au collectif- à l’esprit d’équipe, au solidaire- ou chacun peut exprimer ses émotions et partager des solutions nouvelles. Nous devons appréhender la révolution technologique pour en tirer le meilleur parti sans qu’elle nous aliène.
- Sur un plan collectif, il convient de différencier la rapidité nécessaire et pratique, source d’efficacité positive et la rapidité qui nous met sous pression, qui nous fait oublier d’écouter nos besoins et les besoins des autres.
L’éducation, la recherche scientifique et ses expérimentations, la création artistique ne sauraient être précipités ; beaucoup de loges pensent que l’observation et l’écoute de la nature peuvent nous permettre de rééquilibrer nos modes de fonctionnement vers la lenteur et ainsi revenir à l’essentiel.
Une réflexion est à mener dans le domaine de l’écologie en intégrant les couts énergétiques de nos modes de communication et en favorisant les circuits courts dans nos habitudes de consommation et de déplacements.
Voter pour ceux qui font passer l’homme avant le profit, redonner de l’importance aux corps intermédiaires et aux contre-pouvoirs qui obligent à négocier avant des prises de décision est également une piste.
L’organisation du travail doit être pensée non pas en fonction du chronomètre et de l’immédiateté de l’information ou du résultat, mais en termes d’efficience et de confort ; Les bourreaux de travail, avec leurs cadences et délais, finissent par causer plus de problèmes qu’ils n’en résolvent : C’est la philosophie du « slow management ». Il importe aussi de réfléchir à l’émergence de l’intelligence artificielle qui pousse à une solution en s’affranchissant de l’humain.
Du coté des médias, il faut encourager la lecture critique de la masse croissante des informations disponibles et en continu, sortir de la dictature de l’information immédiate et revaloriser l’information durable via le journalisme d’investigation et en mettant en garde contre les « fake news » notamment.
La distinction doit être faite entre réagir immédiatement et agir rapidement, sans subir le diktat de l’émotion, qui altère les capacités d’analyse.
Car, «A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel» comme le soulignait Edgar Morin dans sa célèbre citation, notamment dans son ouvrage «La relève et la peste».
L’éducation peut prendre sa part pour encourager la réflexion et réhabiliter l’idée que la réussite ne va pas toujours de pair avec la rapidité.
Les programmes éducatifs doivent proposer des activités propres à développer l’esprit critique des enfants, leur discernement, mais aussi leur créativité et les protéger de toute forme de dépendance à la pression du temps ; certaines loges ont cité l’exemple des écoles à pédagogie active.
Il est souhaitable de redonner un rythme plus lent à nos vies, par le choix de nos loisirs (marche, jardinage, lecture, écriture, arts en général, travaux manuels, observation de la nature) et par notre rapport au travail en faisant notamment respecter notre droit ou le droit à la différence. Apprendre à ne faire qu’une chose à la fois et la faire bien ! Apprendre à apprécier la vie et partager !
Alors, ce peut être la « slow attitude », le « slow living », le « slow Food », le « slow management », le « slow travel » …tout comme ces villes qui ont créé le label « ville lente », ou le Québec qui est à l’initiative de la journée Internationale de la lenteur le 21 juin.
POUR CONCLURE
Face à l’immédiateté, la lenteur n’est pas obligatoirement la réponse, car la vitesse n’est pas le problème ; Le problème c’est le sens, défini par la réflexion ; selon les loges, c’est une pédagogie de l’instantané et du durable qui est nécessaire.
Il s’agit de trouver une juste mesure entre lenteur et immédiateté, toutes les deux importantes dans nos modes de fonctionnement, pour ne plus subir le temps mais le choisir tout comme cet adage de Jean de la Fontaine dans le lièvre et la tortue « rien ne sert de courir, il faut partir à point ».
Il est vrai que nous sommes de plus en plus dans l’impatience d’une société plus juste, d’un rapport au monde plus sain, d’une parole plus et mieux partagée.
Mais, il faut…
Ne pas confondre vitesse et précipitation, car sous prétexte de vouloir accélérer un mouvement déjà rapide, on risque de tout gâcher et de faire perdre sens, qualité et efficacité, à nos intentions et actions…
Ce que préconise la majorité des loges est de trouver un équilibre, une harmonie, entre lenteur et immédiateté; de donner du sens tout d’abord, à l’un et/ou à l’autre, dans chacune de nos actions ou décisions.
« Redonner à la lenteur ses lettres de noblesse » renvoie à la place que l’on donne à l’humain dans la société pour aider chacun à donner ou redonner un sens à sa vie, à résister à la pression et à participer librement et pleinement à la vie collective.