« La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État va bientôt avoir 100 ans. Devons-nous nous inquiéter des projets de modification de cette loi ? Pourquoi République et Laïcité sont-elles indissociables ? »
Synthèse de la Question sociale 2004
La séparation du politique et du religieux travaille la pensée française depuis très longtemps. Il lui faudra des siècles pour éclore et encore un peu plus de temps pour être nommée en tant que principe républicain inaliénable. Son histoire est celle de la construction de l’État français qui, depuis le baptême de Clovis, ne cessera d’osciller entre l’allégeance à l’Église catholique romaine pour profiter de son pouvoir et le besoin de secouer ce joug dès que le pouvoir royal se sent assez puissant pour s’en libérer, jusqu’à vouloir l’annexer parfois.
C’est, dès l’origine, au sein de la joute permanente qu’entretiennent le politique et le religieux pour tenir le pouvoir, dans la tension entre l’Église et l’État, qu’émerge très lentement l’idée qu’ils sont antagonistes et qu’ils ne peuvent pas être associés ; que c’est là mêler deux domaines exclusifs l’un de l’autre si on les tient dans la même sphère.
Tant que cette notion reste confuse, empêchée de se clarifier par les luttes d’influences et l’affirmation des puissances, elle demeure engluée dans la rivalité de deux absolus, celui de la papauté et celui de la royauté. Le pouvoir politique a cru trouver la solution dans l’édification de l’absolutisme pour traiter d’égal à égal avec l’absolutisme du dogme. Mais en vérité ce système ne fait que renforcer le principe de domination.
Il faudra d’abord la Réforme pour mettre en cause l’intangibilité du dogme romain puis, ensuite, la Révolution pour mettre à bas l’absolutisme politique. Il aura fallu la violence du combat et la force du fer pour briser la gangue où cette idée était tenue dans l’obscurité. Il aura fallu le feu destructeur de la guerre pour qu’elle apparaisse en pleine lumière, tant cette collusion est marquée par la fatalité du conflit.
Mais il n’y a de fatalité du conflit que si l’on reste dans une logique infantile. Car l’émergence du concept de laïcité c’est aussi l’histoire d’une maturation. Il fallait que la France cessât d’être, « dans les siècles des siècles », « la fille aînée de l’Église ». Il fallait qu’on réalisât que pour se libérer de la direction de conscience on disposait de la liberté de conscience et que pour sortir de la condition de sujet, il fallait devenir citoyen.
Pour cesser d’être asservi, il faut accepter d’être adulte et responsable de soi et des autres et accepter que les autres sont comme soi-même, adultes et responsables ; il faut accepter de voir en autrui un alter ego et non un autre tout court. Liberté, Égalité, Fraternité, la Révolution, héritière des Lumières, a adopté, par rapport à l’être humain, une position radicalement opposée à celle de la royauté et de l’Église. Avec l’avènement du citoyen, l’être humain retrouve la première place dans la société. Les sociétés sont organisées par les humains pour les humains pour que chacun ait la meilleure vie possible.
Malheureusement, la jeune République va tomber dans le piège de l’épuration et de la croisade et faire régresser l’idéal qui l’avait faite naître. Il faudra encore un siècle pour que se forge une conscience politique totalement mature, construite, précisément, sur la notion pleine et entière de laïcité.
Le politique n’a rien à faire avec le religieux. L’Église s’occupe de la religion : elle n’a rien à faire avec le politique. L’État doit donc se séparer de l’Église. Il faudra un quart de siècle à la IIIème République, de 1879 à 1905, pour traduire cela définitivement dans la loi. La raison de cette lente progression est simplement politique et dans le souci d’apaiser un conflit dont rien n’était jamais sorti qui aille dans le sens d’une plus grande considération de l’humain. Le but était d’emporter l’adhésion et non de repartir en croisade contre les ennemis de la liberté et de la démocratie, car jamais on n’empêchera certains de croire qu’il est faux que les être humains « naissent libres et égaux en droit ». Mais, alors, il suffit de promouvoir fortement les valeurs de la République et de la démocratie pour que ceux-là restent minoritaires.
D’où toutes ces années passées à construire et à faire vivre l’outil fondamental qui est la création de l’École publique au travers de laquelle la société fait l’expérience d’une éducation laïque capable d’apporter non seulement l’instruction mais aussi de transmettre de hautes valeurs morales.
C’est ainsi qu’a pu être votée la loi du 9 décembre 1905, dans un climat néanmoins très tendu ; mais, s’il y avait une opposition catholique farouche, et des volontés férocement anticléricales, voire antireligieuses à gauche, Aristide Briand aidé notamment de Louis Méjan, haut fonctionnaire protestant, ne voulut pas d’une loi de combat mais d’une loi qui fût un instrument de pacification civile. Briand ne voulait pas échouer comme venait de le faire Émile Combes qui avait finalement démissionné en janvier 1905. En opposition à Briand, le député socialiste Maurice Allard défendit un contre-projet qui voulait « poursuivre l’œuvre de la Convention et achever l’œuvre de déchristianisation de la France. ». Il ne fut pas soutenu par Jaurès et ne recueillit que 59 voix.
C’est ainsi que la loi soutenue par Briand sera votée début décembre 1905 par les deux assemblées et promulguée le 9 par le président de la République Émile Loubet. Dès lors, la laïcité, qui ne dit pas encore son nom, mais se trouve parfaitement définie, s’affirme comme la forme institutionnelle que prend, dans la démocratie française, la relation politique entre le citoyen et l’État et entre les citoyens eux-mêmes, si on souhaite empêcher le développement des communautarismes ethniques, religieux et économiques. Le dispositif républicain français est ainsi mis en place. L’État se porte garant des libertés de chacun des membres de la société et de l’égalité entre eux. Le principe de laïcité sépare la sphère publique, où s’exerce la citoyenneté, et la sphère privée où s’exercent les libertés individuelles (de pensée, de conscience, de conviction) et où les différences biologiques, sociales, culturelles peuvent exister ensemble.
Appartenant à tous, l’espace public est indivisible : aucun citoyen ou groupe de citoyens ne doit imposer ses convictions aux autres. Et conséquemment, l’État laïque s’interdit d’intervenir dans les organisations collectives (partis, syndicats, associations,..) auxquelles chacun est libre d’adhérer et qui relèvent de son domaine privé. Le droit d’adhérer à une conviction, d’en changer ou de n’adhérer à aucune est ainsi garanti par le fondement laïc de l’État. Il s’impose de rester au seuil de la conscience qui est l’affaire de chacun. Devant la loi commune, chacun est comptable de ses actes et non de ses pensées.
La laïcité de l’État n’est pas une conviction parmi d’autres. Il n’y a pas de clergé laïque ni de religion de la laïcité. La laïcité de l’État est la condition première grâce à laquelle toutes les convictions peuvent exister ensemble dans l’espace public. C’est un principe universel qui permet l’intégration pacifique de toutes les différences. La laïcité est-elle indissociable de la République ? La réponse, désormais, précède la question pour quiconque a réfléchi et a pu reconnaître que la conception de la République à la française est une des plus abouties en terme de garantie des libertés individuelles, sinon la plus aboutie et, en tous cas, une forme unique et originale.
La laïcité telle qu’elle s’exprime dans l’article 2 de la loi de 1905 n’a pas besoin d’être revue en terme de tolérance ni en terme d’ouverture. Elle traite à égalité croyants et non croyants, athées, agnostiques, chrétiens, juifs, musulmans, tous. On devine que cela puisse irriter ceux qui ne conçoivent d’autre affirmation identitaire que leur foi et que ceux-là vont chercher, à toutes fins, à faire la preuve, par la violence s’il le faut, de la supériorité de leurs croyances. Ils exploitent toutes les failles du système républicain pour en rabaisser les valeurs. Pour eux tout compromis avec les Institutions est considéré comme une étape vers d’autres demandes.
Trop souvent, ceux qui réclament une laïcité « ouverte » sont ceux qui sont les plus enfermés dans leurs convictions et les plus hostiles à tous les échanges. Ils veulent rouvrir le débat sur la place de la religion dans le pouvoir politique. Ce que l’histoire récente nous a appris de la confiscation de la démocratie par ceux qui s’en étaient servis pour s’installer au pouvoir, tente de se reproduire avec la laïcité. Les fascismes se sont poussés en faisant adhérer à l’idée qu’un bon pouvoir est un pouvoir fort, qu’il y a des hommes nés pour être des chefs et d’autres nés pour obéir. Les intégrismes se poussent en répandant l’idée que les valeurs fortes sont celles de la religion garanties par l’absolu divin, que l’être humain ne vaut que par la reconnaissance de Dieu et qu’en aucun cas il ne saurait avoir de valeur en lui-même. Partant, il n’y a pas de liberté. La seule liberté est celle de la conversion et le seul crime dont le châtiment justifie tant d’autres crimes, est l’apostasie.
L’égalité est un mythe puisqu’il ne peut y avoir que soumission à Dieu et donc à ceux qui parlent au nom de Dieu. La fraternité n’existe que dans l’identification à la communauté religieuse où le singulier se dissout dans la foi et dans l’obéissance.
Fort heureusement, si beaucoup de Français ont des convictions religieuses, peu se laissent porter au fanatisme et nombreux sont ceux qui se reconnaissent dans les principes laïques et, qui plus est, militent dans des associations pour défendre la laïcité parce qu’ils se veulent d’abord citoyens responsables et comptables de la pérennité de la liberté dont ils ont besoin pour vivre leur foi, à titre privé. Et c’est à juste titre, car la laïcité n’est certes pas en contradiction avec les religions ; elle l’est avec la volonté ou les tentatives d’emprise qui peuvent caractériser les dérives cléricales de prosélytisme social et politique.
Mais vivre ses convictions sans intolérance n’est pas toujours naturel à l’être humain et nécessite, en vérité, une grande maturité, une grande exigence éthique.
La laïcité est la grande œuvre de la République française. C’est un concept vivant et fort qui a gardé toute sa vitalité et sa capacité opérationnelle. C’est pourquoi la laïcité est constamment attaquée. Il faut sans relâche consolider ce puissant rempart garant de la cohésion sociale dans le respect des lois communes mettant à part la vie privée pour mieux la permettre pour tous.
L’espace laïc a été défini comme un triangle dont les trois côtés sont constitués :
– pour l’un par le respect de la liberté de culte et de conscience,
– pour le deuxième par la lutte contre toute emprise de la religion sur l’État et la société civile,
– et pour le troisième par le principe d’égalité des religions et des convictions qui inclut le droit de ne pas croire.
Cette définition de l’espace laïque trace les voies d’actions pour la défense de la laïcité, mais à condition que les trois côtés soient également pourvus en défenseurs. Or le troisième côté ne suscite, semble-t-il, que peu de vocations, les défenseurs des deux autres côtés craignant en s’engageant dans cette voie de prêter le flanc à la partie adverse.
Une fois encore, il s’agit de maturité. Il faut bannir l’intégrisme laïque. Être laïque n’est pas être « laïcard ». L’intolérance laïque reste de l’intolérance. Être laïque, c’est être en accord avec le principe de laïcité. Un laïque, s’il est anticlérical, ne saurait être antireligieux.
La laïcité se connaît suffisamment d’ennemis pour n’en pas trouver dans son propre camp. La vérité ne se fait jamais jour que dans la controverse et le débat. Il faut donc avoir le courage de se battre pour que toute opinion puisse s’exprimer librement, dans les limites fixées par la loi qui s’impose à tous, quitte ensuite à combattre ces mêmes opinions. Respecter l’autre, c’est respecter ses droits fondamentaux d’être humain. Et c’est ce que permet, mieux que tout autre système, le principe de laïcité.
C’est pourquoi, même avec des heurts et des difficultés, la France a bien réussi dans l’intégration des vagues d’immigration qui se sont succédées sur son sol avant la deuxième Guerre Mondiale. Et c’est pourquoi aussi, face à la poussée des intégrismes, les démocraties européennes, et particulièrement la Belgique et l’Allemagne, observent attentivement le fonctionnement du modèle français.
Car il est bien clair qu’il y a, désormais, de vrais risques pour que la machine se grippe. La réponse est-elle dans la modification de la loi de 1905 ?
Depuis que la loi a vu le jour, elle a dû faire face à de nombreuses attaques et elle a dû subir de nombreuses entorses, connaître bien des dérives.
En premier lieu, du fait de l’histoire, la loi ne s’applique pas de façon homogène sur l’ensemble du territoire français.
L’Alsace et la Moselle ont conservé le régime du Concordat de 1801 en redevenant françaises en 1918.
La Guyane fonctionne selon le régime concordataire défini par l’ordonnance du 27 août 1828 et est considérée comme Terre de mission catholique relevant d’un statut particulier.
À Mayotte, le Préfet de la République nomme le représentant officiel du culte musulman.
La Polynésie française connaît également des différences de traitement. Un arrêt de la cour d’appel de Paris de février 2004 stipule que « la Polynésie française est bien fondée à accorder des subventions de fonctionnement aux Églises en vue de satisfaire à un besoin d’intérêt général ». De plus, la nouvelle loi sur les signes ostensibles et relative à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, constituant l’article L141-5-1 du code de l’Éducation, ne s’applique pas non plus « dès lors que les établissements qu’elle vise relèvent de la compétence des autorités territoriales en vertu du statut d’autonomie de cette collectivité d’outre-mer ».
Lorsque l’Algérie était française, la loi de séparation des Églises et de l’État s’y appliquait sauf pour les religions musulmane et juive. Cet état de fait, associé au très large refus d’accorder la citoyenneté aux autochtones d’un territoire supposé être un département français, a des conséquences dont on ne cesse de mesurer l’ampleur.
Bien sûr, le régime de Vichy ne pouvait se satisfaire de la loi de 1905 et l’a modifiée neuf fois avant de l’abroger purement et simplement. Elle ne sera d’ailleurs pas rétablie totalement à la Libération.
Les lois Marie et Béranger permettent les premières subventions aux écoles privées. Le biais des contrats d’association entre l’État et les écoles privées va permettre à la loi Debré en 1959 d’étendre et généraliser ces subventions en contradiction avec l’art. 2 de la loi de 1905. Les lois Guermeur de 1971 et 1977 accordent de nouveaux avantages financiers aux écoles privées et renforcent le caractère propre des établissements, elles autorisent la mise en place d’institutions parallèles et concurrentes avec les établissements publics. En réaction, le ministre Chevènement rétablira la loi Debré, jugée plus laïque, en 1984. En 1994, le projet de loi Bayrou instaurait de fait un régime concurrentiel entre le public et le privé et mettait en demeure l’école publique d’avoir à prouver sa légitimité.
La loi d’orientation de l’enseignement de juillet 1989 dans son article 10 inspiré de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, stipule : « Dans les collèges et lycées, les élèves disposent, dans le respect de la pluralité et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression… » et, ce disant, ne se soucie pas de mettre en accord cette disposition avec le principe de laïcité.
Depuis un siècle qu’elle existe, à l’exception du régime de Vichy, on n’a pas cherché à modifier directement la loi du 9 décembre 1905 mais on a constamment mis en place des dispositions dérogeant à ses principes.
Cela n’a pas toujours reposé sur des raisons anti-laïques. La Grande Mosquée de Paris et l’Institut musulman de la grande mosquée ont été financés par l’État en 1920 « en remerciement du sang versé ». Avec l’idée d’aider à la réalisation d’un projet mixte de musée d’art sacré, Jack Lang, ministre de la culture a autorisé le financement public de la cathédrale d’Évry.
Depuis les années 1930, les communes peuvent accorder un bail emphytéotique aux associations cultuelles, charge à elles de financer les constructions, financements dont les emprunts peuvent, aujourd’hui, être garantis par les collectivités territoriales. Le Ministre de l’Intérieur est également Ministre des cultes, car si la République ne reconnaît aucun culte elle a, cependant, à les connaître tous puisque la loi est là pour les administrer.
Par ailleurs l’État finance traditionnellement les Universités catholiques de Paris et de Lille, il entretient des imams dans les prisons, autorise et rétribue les aumôneries (ce qui est prévu par loi de 1905).
Arrêtons-nous un instant sur ce point. Il est habituel de dire que cette disposition de la loi du 9 décembre 1905 a ouvert la porte au financement des écoles privées. Mais ce n’est que par une interprétation en totale contradiction avec l’esprit de la loi. En effet, cette loi est une loi de pacification qui, justement, pour pacifier la société, dit que le politique et le religieux n’ont pas à faire ensemble. Mais elle ne dit pas qu’il n’y a plus de religion. En ce début de vingtième siècle, la plupart des élèves des écoles sont catholiques et dans les lycées, beaucoup sont internes venus parfois de très loin. L’examen des origines géographiques des élèves des grands lycées parisiens avant la Seconde Guerre Mondiale, par exemple, montre qu’ils viennent de toute la France métropolitaine et des colonies. Ce sont des jeunes qui ne rentrent chez eux qu’aux vacances. Il n’était pas dans l’esprit de la loi de les couper ainsi pendant de longues périodes de leur croyance, précisément parce que leurs parents avaient fait le choix de l’école publique. D’où la reconnaissance et le financement des aumôneries. Et cela n’implique pas du tout qu’il faille d’une façon ou d’une autre financer l’école privée. Il existe une école publique ouverte à tous et dans laquelle l’État garantit la qualité de l’instruction et l’égalité de traitement sur tout le territoire. Ceux qui ne veulent pas y aller par désir communautaire, pour ne pas se mêler à ceux qui n’ont pas les mêmes convictions qu’eux, libre à eux. Mais qu’ils assument ce choix eux-mêmes sans le faire payer par la Nation. Et l’on voit bien la grande astuce de la loi Debré et de l’enseignement privé sous contrat d’association avec l’État qui est de faire comme si l’école privée rejoignait l’école publique avec, pour conséquence, l’obligation pour l’État de la financer.
Jusqu’à présent, les français ont su fortement se mobiliser lorsque la laïcité s’est trouvée gravement mise en cause, notamment par certains des projets de loi cités plus haut. Mais aujourd’hui, le travail de sape est régulier et permanent. On met en avant la liberté individuelle pour clamer le droit à la différence et obtenir des droits particuliers qui visent à privilégier une communauté et à l’aider à se soustraire à la loi commune. La sphère privée veut réinvestir la sphère publique.
L’affaire du foulard qui a vu le jour en 1989 a, sans nul doute, été très mal gérée. Il est vrai qu’elle est venue dans la même période que la loi d’orientation sur l’enseignement et que la politique, sur ces questions, à ce moment, est fortement marquée par la crainte des recours devant la Cour de justice européenne et le risque d’être déclaré en contradiction avec la législation européenne.
Mais les hésitations et les atermoiements ont eu un effet bénéfique en ouvrant le débat et en mettant en lumière l’existence d’un grave problème identitaire en train de mûrir dans certains milieux issus de l’immigration de confession musulmane. Soudain, en réclamant la primauté d’un précepte religieux sur la règle de neutralité, tout un groupe manifestait l’échec de la politique d’intégration à la française.
La société a profondément changé depuis 100 ans. Deux guerres mondiales, les graves secousses qui marquent la disparition des empires coloniaux, la construction de l’Europe, l’impact sociologique des vagues migratoires, ont modifié considérablement et les mentalités et la sociologie de la France qui, de plus, va cesser d’être majoritairement rurale.
L’immigration issue essentiellement d’Afrique du Nord, avec la loi sur le regroupement familial dans la deuxième moitié des années 70 a eu, à terme, une incidence évidente sur la structure de la population française.
Avec l’inscription de la laïcité dans les principes fondateurs de la République, dans les Constitutions de 1946 et 1958, l’affaire était entendue. L’Église catholique cessait d’être perçue comme une menace. L’esprit œcuménique prévalait. Avec la plus importante communauté juive d’Europe occidentale et une nombreuse communauté musulmane qui semblait tranquille dans ses banlieues et dont les pères de familles constituaient la main d’œuvre prolétarienne d’une industrie qui tournait à plein régime, tout allait bien et la laïcité ne préoccupait plus personne.
Mais lorsque sur fond de crise économique naissante la réforme de la scolarité des 11-15 ans a été mise en place dans la structure du collège unique, aucune politique d’intégration et de compensation des inégalités sociales n’a accompagné ce qui se voulait une démocratisation de l’enseignement secondaire. Cette modification radicale du cursus scolaire et ses enjeux auraient mérité autant de soin que la création de l’École publique dans les années 1880. L’ampleur des moyens humains et matériels à y consacrer a été totalement sous-estimée. Le résultat a été qu’au lieu d’être une structure d’intégration des différences, le collège unique est devenu très vite le lieu d’amplification des différences où la « fracture sociale » devient fracture culturelle et identitaire et fabrique le terreau dans lequel les idéologies fondamentalistes s’enracinent et prospèrent.
La tentative de minimiser le problème du foulard – 1256 cas en France selon les renseignements généraux, à l’automne 2003 – fait oublier que l’expression de malaises identitaires révèle d’abord une certaine impuissance publique à combattre efficacement les racines sociales des discriminations. Il y a le discours et la loi d’une part, la réalité de l’autre. La République traite-t-elle tous ses citoyens de la même façon ? La question se pose et la réponse apparaît de plus en plus être négative.
Les difficultés économiques et sociales et le sentiment de rejet ont amené certains musulmans, en particulier parmi les jeunes, à revendiquer leur identité religieuse pour pallier l’absence de reconnaissance citoyenne. Cette analyse traduit le sentiment qu’un contrat a été rompu par lequel la République proposait le progrès social, l’emploi et l’accès aux biens de consommation, contre l’adhésion à des valeurs et à un mode de vie.
Le problème du foulard traduit d’abord une crise politique, sociale et culturelle. Il est l’expression du refus d’être les laissés pour compte d’une société qui s’enfonce dans l’inégalité. Et tous les discours sur l’instrumentalisation des jeunes filles, sur l’égalité bafouée entre les hommes et les femmes restent paroles vaines puisque la société donne à voir le contraire.
La laïcité ne serait-elle plus une valeur phare de la République ? En tout cas, on semble la redécouvrir ces derniers temps mais il a fallu que le Président en réaffirme le principe par décret.
C’est peut-être l’amorce d’un retour sur la primauté de l’affirmation du « moi » sur le « nous » qui est la conception qui prévaut dans la loi d’orientation de l’enseignement de 1989. L’expression de l’individu est plus importante que l’effort de cohésion sociale. Or à mettre trop en avant les droits individuels, on risque de mettre en péril les institutions grâce auxquelles justement les droits de l’homme peuvent être respectés. Et de même, à mettre trop en avant certains des droits de l’enfant, on rend inopérante l’institution en charge d’assurer un droit tout aussi fondamental qui est le droit pour tout enfant de recevoir une éducation, le droit d’être élevé qui fait que l’on acquiert la conscience de la nécessité du progrès sur soi-même, condition de l’accès à toujours plus d’humanité.
Il faut garder à l’esprit que le droit vaut par sa mise en œuvre et que l’application du droit se fait par la jurisprudence. Or, souvent, il arrive qu’un droit vienne à s’exercer contre un autre droit et que le rôle du juge soit de dire quel est celui qui prévaut sur l’autre. Il en va de même pour nous dans notre vie de citoyen et nous devons manifester notre maturité dans l’affirmation que nous faisons quant à la hiérarchie que nous établissons entre nos valeurs. Dire que le principe de laïcité se place avant l’exercice des libertés individuelles, c’est justement mettre en place les conditions qui permettent cet exercice pour tous et non pas le restreindre.
* La loi de 1905 n’a pas à être modifiée, le principe de laïcité n’est pas en cause. Ce sont les volontés politiques et les citoyens qui doivent se mobiliser. Les institutions n’ont pas à avoir honte et doivent réactiver leur capacité à faire preuve d’autorité et à transmettre des valeurs. Si la laïcité paraît moins lisible aujourd’hui, lui redonner du sens c’est d’abord faire vivre le droit en vigueur.
* Il faut redonner tout son sens au projet laïque surtout dans le contexte actuel, avec un compromis de constitution européenne qu’il faut examiner de très près avant qu’il ne soit soumis à notre suffrage dans quelques mois, avec des lois de décentralisation contre lesquelles on doit se mobiliser si elles ouvrent la porte aux particularismes, avec une nouvelle loi d’orientation de l’enseignement qui devrait voir le jour vers la fin de l’année 2004 et qui ne saurait faire l’impasse sur le principe de laïcité. L’idéal laïc doit inspirer la politique éducative ainsi que la politique de la famille et la politique de la ville.
* A l’école, un travail éducatif fondé sur le dialogue permettrait aux enfants de se libérer pour un temps donné de la tutelle familiale, sociale, pour ne plus penser qu’à ce qui les unit et pour ne voir dans leur voisin qu’un élève comme eux-mêmes. Cet acte symbolique doit entrer dans une démarche pédagogique globale d’éducation à la citoyenneté et de lutte contre le racisme et la xénophobie. Il doit également s’appliquer dans l’école privée sous contrat comme principe scolaire d’éducation s’appliquant dans toute la République.
* Le financement, par l’État, des différentes écoles confessionnelles introduit de l’inégalité dans l’application du principe de laïcité puisqu’il reconnaît de fait que certains puissent bénéficier des mêmes soins de l’État, mais au nom de leur particularité. Il doit donc être revu, même si cela est difficile.
* Dans le contexte du « retour du religieux » et dans le souci de permettre une meilleure connaissance mutuelle, il parait important d’enseigner « le fait religieux ». Cette proposition est controversée car, dit-on, on voit mal le fait religieux en sujet d’étude, en discipline d’enseignement.
Pourtant, à bien des égards, conçu en tant qu’objet de sciences sociales, cet enseignement pourrait aller bien au-delà de ce qui figure actuellement dans les programmes d’histoire sur les religions. La dimension culturelle du fait religieux, sa dimension sociologique en tant que créant du lien et facteur de rassemblement, sa dimension anthropologique en tant que la religion joue un rôle symbolique et que là se place également le fait que l’on puisse ne pas croire, et enfin l’étude des dérives religieuses et ce que cela apporte dans la compréhension de la démocratie et dans le développement de l’esprit critique, montre que le fait religieux n’est pas un sujet anodin et est fortement lié à la notion de laïcité. D’autant que cet enseignement gagnerait à être transversal (histoire, sciences sociales, littérature, philosophie, etc.) de façon moins frileuse qu’il ne se fait aujourd’hui. D’autant, encore, que si l’on est d’accord avec Edgar Morin lorsqu’il affirme que le problème fondamental est celui de « la compréhension mutuelle, moyen et fin de la communication humaine », force est de reconnaître que l’étude du fait religieux s’inscrit bien dans l’éducation à la compréhension et qu’il y a là matière à un dépassement de l’objet à comprendre, à une décentration par rapport à l’émotionnel et au vécu primaire, dans cette élévation de l’esprit qui est incluse dans la démarche scientifique et qui est propre à aider l’individu à cerner les causes de l’incompréhension et à devenir plus fraternel.
* On pourrait aussi renforcer les cours d’éducation à la citoyenneté pour initier l’enfant, l’étudiant au fonctionnement d’une société, solidaire et tolérante, et au sens de l’effort. Car la mise en avant du droit individuel conduit aujourd’hui au comportement du « moi d’abord » en escamotant cette notion essentielle que l’humanité n’est pas donnée mais s’apprend par le travail sur soi.
* Il serait opportun que, dans les instituts de formation des maîtres, le module sur la laïcité soit obligatoire et non optionnel comme il l’est actuellement !
* Dans le souci d’une meilleure intégration, la République laïque doit proposer les moyens d’une bonne acquisition du langage et de la maîtrise de la langue française.
* Parallèlement il serait nécessaire de débattre du bien-fondé des enseignements des langues et cultures d’origine (les ELCO), de leur contenu et de leurs conditions concrètes d’exercice par des professeurs de l’Éducation Nationale. L’école laïque a une fonction « intégratrice », elle respecte les particularismes, elle ne les exacerbe pas.
* Dans les familles, les parents ayant un rôle éducatif qu’ils se doivent d’assumer, il serait peut-être nécessaire d’envisager, pour eux, une formation à l’éducation du jeune citoyen. Peut-être peut-on penser à une « école des parents », sous forme de structure associative par exemple, ce qui aurait également l’avantage de créer du lien et de la cohésion sociale, toutes choses propres à éviter les dérives et la délinquance.
* Pour lutter contre le phénomène des ghettos, il convient de redynamiser la vie des quartiers autour des services publics, dont la mission d’information sur les spécificités de notre société laïque serait renforcée.
Cela implique également de revoir la politique d’urbanisation, de créer des structures culturelles et sportives diversifiées et accessibles sans discrimination.
* Dans cet esprit, tous les acteurs du tissu social pourraient participer à l’élaboration de la commémoration de la loi de 1905 qui devrait faire l’objet de rencontres dans toutes les institutions publiques : écoles, hôpitaux, poste, transports en commun, etc.
* À cette occasion on devrait promulguer « une charte de la laïcité » qui s’appliquerait à l’ensemble du territoire intégrant aussi les départements d’Alsace et de Moselle et les DOM, répondant ainsi au principe d’unité nationale.
Elle préciserait les règlements intérieurs pour les élèves et étudiants, fêtes religieuses, jours de congé possibles pour chaque religion ; les règles de fonctionnement dans les milieux hospitaliers respectant les personnels soignants (éthique médicale, hygiène et santé publique).
* L’idéal laïc doit aussi inspirer une politique déterminée à s’affranchir de la tutelle du sacro-saint marché qui n’est autre que le diktat des lobbies industriels et financiers. Le dogmatisme économique est au moins aussi dangereux que les intégrismes religieux, dans le sens où il est accepté par tous comme une vérité intangible. Peu ont la volonté de secouer cette soi-disant vérité.
Nous entretenons avec les lois du marché le même rapport de foi fataliste que les gens du Moyen Âge entretenaient avec la loi divine véhiculée par l’Église dans la peur et la soumission. Le marché boursier règne sur le sort de millions d’employés d’entreprises qui peuvent s’effondrer en un rien de temps. Les États eux-mêmes en sont tributaires.
On cite à loisir le mot de Jaurès « la République doit être laïque et sociale. Elle restera laïque parce qu’elle aura su rester sociale ». En tant que projet humaniste et pour rester sociale, elle est vouée à s’opposer à ce qu’on a appelé « les nouvelles cléricatures de l’argent et des médias ».
La religion du profit, expression du dogme économique tout puissant, élimine à son tour le citoyen pour n’en plus faire qu’un consommateur. Outils au service de ce dogme, un certain nombre de médias remplissent désormais le rôle des prêtres et de leurs sermons d’antan.
La République doit renouer avec le peuple car elle n’existe que par lui et pour lui. Pour y parvenir n’est-il pas temps pour elle de réaliser la séparation de la « religion du profit » et de l’État pour inscrire l’avenir du peuple dans une société portée par les trois piliers de l’humanité que sont la liberté politique et de conscience, l’égalité des droits et la fraternité sociale ?
Dans l’idéal, à partir du moment où l’on considère que le principe de laïcité est transposable dans toute constitution démocratique, il conviendrait de convaincre un maximum de citoyens de tous les pays du monde de sa nécessité, pour la paix et le respect de libertés individuelles. Soyons attentifs à une construction européenne laïque au service des peuples et développée dans toutes ses dimensions : économiques, sociales, culturelles, écologiques et non au service des puissances industrielles et financières.
Il y a, enfin, une religion de la science dont on doit apprendre également à se départir. Là encore, le principe de laïcité qui abrite la liberté de pensée et la pensée libre est à opposer à l’idée que tout ce qui se présente comme scientifique est vrai et non susceptible de remise en cause, étant le domaine réservé de ceux qui détiennent les savoirs spécifiques. Encore de nouveaux clercs !
Idéal façonné par l’histoire, la laïcité est avant tout un système d’organisation des tensions inhérentes aux sociétés et aux individus qui les composent et qui, sans elle, seraient impossibles à maîtriser. Elle est l’espace dans lequel se dénoue la tension entre les principales dynamiques républicaines et cela en opérant des distinctions et des séparations.
La laïcité appuie la liberté en consacrant dans les faits la liberté de conscience, la liberté de l’individu, la liberté de croyance. Elle donne un rôle essentiel à l’école dans cette recherche d’une liberté concrète et place volontairement la liberté de conscience au-dessus de toutes les autres et notamment de la liberté religieuse. Ainsi elle ne peut être considérée comme une option spirituelle parmi d’autres. Elle est, en avant, ce qui rend possible que les différentes options spirituelles puissent vivre ensemble.
C’est la laïcité qui permet une application concrète du principe de fraternité. Elle consiste à privilégier ce qui est commun à tous les Hommes, ce qui les unit et non ce qui les sépare. La laïcité est un principe qui est lié à la République dans la notion d’indivisibilité. Elle est un état de vie où la liberté, l’égalité et la fraternité sont une réalité. Elle est au cœur de la République. La laïcité est un principe constitutionnel. La loi de 1905 met en application le principe de laïcité.
Tout ce qui déroge à la loi de séparation des Églises et de l’État est donc anticonstitutionnel. La loi doit s’appliquer rigoureusement et prendre en compte le contexte de l’époque dans sa jurisprudence.
Toujours attaquée, mais toujours défendue, la laïcité voit se mobiliser aujourd’hui de nombreux chercheurs et intellectuels, de nombreux responsables politiques, de nombreuses associations y compris à caractère confessionnel.
Les femmes et les hommes du Droit Humain sont de ce combat. Ils ont fait de la laïcité une valeur maçonnique intangible, non négociable, inscrite dans leur Constitution Internationale. Francs-maçons, ils travaillent au progrès de l’humanité. C’est-à-dire qu’ils croient en l’Homme, en sa capacité de mettre son énergie et son intelligence au service du bien de tous.
Contre la régression obscurantiste quelles meilleures armes que l’éducation et l’humanisme ? Ainsi le dernier mot revient-il à la fondatrice du Droit Humain, Maria Deraismes : « l’avènement de l’idée humaniste est absolument laïque, elle est d’importation philosophique et marque l’affranchissement de la raison et de la conscience, la rupture de l’esprit avec le dogme ».
Annexe
Principaux repères historiques :
L’Ancien Régime se caractérisait par le lien institutionnel entre l’État et l’Église et ce, dès Clovis : la doctrine catholique avait force de loi « une foi, une loi, un roi » ; ce dernier dirigeait le peuple par délégation divine. Mais ce lien entre l’État et l’Église est d’emblée conflictuel.
La Réforme met en cause l’intangibilité de l’Église et, en particulier, l’Édit de Nantes ouvre la voie à la reconnaissance de la liberté de conscience. Déjà, Montaigne revendique la reconnaissance de la liberté de penser en écrivant : « la vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi … » puis « … il faut apprendre à penser de manière laïque, ceci signifiant recourir aux sciences humaines et non à la théologie … ». Descartes, Pascal … l’ont suivi, et Spinoza qui affirme : « la connaissance révélée ne porte que sur l’obéissance… ».
C’est le 18ème siècle qui avancera résolument dans la condamnation de l’intolérance et en faveur de la promotion de l’esprit critique. Voltaire et Condorcet posent les prémices de la laïcité : « le système éducatif doit être séparé de toute influence religieuse. »
La Révolution de 1789 va rejeter la notion de droit divin. Dès lors, la société sera fondée sur l’homme et non plus sur Dieu ; la laïcisation de la société est en marche.
En 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est proclamée :
Article 10 : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. »
Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative laïcise l’état civil : la citoyenneté n’est plus liée à la religion ; la liberté de conscience est affirmée.
En 1794, la constitution instaure la suppression du budget du culte : « La République ne reconnaît et ne salarie aucun culte. »
Dès l’avènement de la République, l’histoire de la laïcité ne fut pas, pour autant, affirmée sans crises ni affrontements ni soubresauts.
En 1801, Bonaparte signe le Concordat avec le Pape qui reconnaît publiquement quatre religions (catholique, luthérienne, réformée, israélite). Le pluralisme de ces religions est alors pris en compte. Ce n’est que bien plus tard, du fait des colonisations, qu’apparaît la religion islamique avec un statut particulier.
En 1828, ordonnance du 27 août qui interdit tout autre congrégation que catholique sur la terre de Guyane qui est considérée comme terre de mission.
Tout au long du 19ème siècle, Église et République s’affrontent. Les républicains entendent soustraire la société à la tutelle de l’Église catholique. Les socialistes veulent aller jusqu’à la déchristianisation de la France. Le mouvement, anticlérical, combatif, est défendu par Émile Combes ; un second mouvement, plus enclin à laisser faire le temps, est porté par Jules Ferry, Aristide Briand. Ce sont les antagonismes qui vont précipiter la mise en chantier d’une loi de séparation.
Jean Jaurès, dans le camp socialiste, sera très vite convaincu de la nécessité d’une loi propre à pacifier la société.
L’Église catholique se mobilise pour une « liberté dans l’enseignement » qui lui est octroyée en trois temps :
– en 1833 pour le primaire,
– en 1850 pour le secondaire (loi Falloux),
– en 1875 pour le supérieur.
De 1881 à 1886 les députés votent les lois scolaires laïques, établissent la gratuité de l’enseignement et rendent l’instruction obligatoire ; les lois Ferry laïcisent les établissements, les programmes (pas de catéchisme à l’école) et les personnels.
De par la loi du 9 décembre 1905 de la séparation de l’Église et de l’État (dont le rapporteur est Aristide Briand), et entraînant l’abrogation du concordat, le principe de laïcité s’enracine alors dans la République :
Article 1 : la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2 : la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Article 28 : il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit …
Dans les colonies, où la laïcité française rencontre l’islam, la politique de la République est marquée par l’ambiguïté ; en Algérie, par le biais de décrets d’application dérogatoires à la loi, un régime d’exception est mis en place qui maintient le statut personnel musulman ou juif.
La loi de 1905 évacue toute ingérence de toute confession dans la vie publique et plus particulièrement dans l’enseignement public, elle reconnaît toutes les religions et ne se réclame d’aucune ; elle organise l’attribution des biens mobiliers et immobiliers, les pensions et les retraites des ecclésiastiques par rapport à l’État, mais pour autant le mot « laïcité » n’apparaît pas dans la loi.
Il est vrai que c’est un mot neuf. Ferdinand Buisson en dit ceci en 1881 : « Ce mot est nouveau et quoique correctement formé, n’est pas encore d’un usage général. Cependant le néologisme est nécessaire, aucun autre terme ne permettant d’exprimer sans périphrase la même idée dans son ampleur… »
En 1918, les départements d’Alsace – Moselle redeviennent français et conservent le régime du concordat.
Le 15 mai 1937, la circulaire de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale, souligne : « la nécessité de rétablir l’enseignement public à l’abri des propagandes politiques et confessionnelles ». Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise.
En 1946, le principe de laïcité est inscrit dans le préambule de la Constitution. La République devient laïque.
En 1958, la Constitution de la Vème République réaffirme ce principe : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
En 1959, la loi Debré accorde des subventions aux écoles privées sous contrat.
En 1974 la France ratifie la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ratification jusqu’alors différée car les principes de la convention établissant le primat des droits individuels, entrent en conflit avec le principe de laïcité.
Le 17 novembre 1989, suite à l’affaire du foulard, le Conseil d’État privilégie une solution au cas par cas. Le grand corps constitué qu’est le Conseil d’État interprète la loi et prend un arrêt au travers duquel certains vont croire pouvoir déroger à l’esprit de l’article 28 de la loi de 1905.
Le 12 décembre 1989, la circulaire Jospin incite les élèves à se garder de toute marque ostentatoire tendant à promouvoir une croyance religieuse.
Le 20 septembre 1994, la circulaire Bayrou déclare qu’il n’est pas possible d’accepter à l’école la présence et la multiplication de signes aussi ostentatoires qui séparent certains élèves des règles de vie commune de l’école, et précise que, en cas de refus, l’élève risque l’exclusion. Circulaire en contradiction avec l’avis du Conseil d’État de 1989.
Le 10 juillet 1995, l’avis du Conseil d’État rejette un recours en annulation contre la circulaire Bayrou et considère que la prohibition de « signes ostentatoires » sans définition de cette notion ne fait que renvoyer au cas par cas. II réaffirme que le foulard ne saurait être regardé comme un signe et refuse toute interdiction générale.
Le 3 mai 2000 par avis du Conseil d’État, le principe de la laïcité fait obstacle à ce que les agents de l’enseignement public disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester « leurs croyances religieuses ».
Une question se pose : doit-on laisser au Conseil d’État le soin de définir ce qui est un principe fondamental de la République ?
Seule la loi peut être l’expression de la volonté générale dans un cadre républicain.
Le 3 juillet 2003, le Président de la République installe la Commission dirigée par Bernard Stasi, sur l’application du principe de la laïcité dans la République. Mission : Dégager « le plus large accord » possible sur cette question sensible.
Le 11 décembre 2003, les vingt sages rendent leurs conclusions au Président de la République, après avoir auditionné des dizaines de représentants du monde enseignant, associatif, politique ou religieux.
Un rapport conclut à la nécessité d’une loi contre « les signes ostensibles » mais propose de faire des fêtes religieuses juive de Kippour et musulmane de L’Aïd el Kebir, des jours fériés à l’école. Seule la première proposition est retenue par le Chef de l’État.
Le nouveau texte de loi est publié le 15 mars 2004 et prend place dans le code de l’École sous la référence :
Article 141-5-1 : « Dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »