
(1877-1956)
Une institutrice rouge
«Il faut refaire la conscience publique ! »i
Tel a été le cri de Marguerite Martin, institutrice, militante socialiste, féministe, pacifiste et libre-penseur.
Ce qu’elle demandait dès avant la Grande Guerre :
– la recherche de paternité pour « effacer l’opprobre et le mépris qui pèsent lourdement sur la fille-mère ».
– une éducation mixte, afin de « casser les préjugés et la morale traditionnelle ».
– une éducation sexuelle à l’école, pour filles et garçons.
– une égalité de traitement pour les éducateurs, quel que soit leur sexe.
– les droits politiques pour les femmes.
– l’application de méthodes anticonceptionnelles, ce qui, glissait-elle, permettra aux femmes de connaître le plaisir.
– l’interruption volontaire de grossesse.
Le féminisme fut son premier combat. « Il faut changer l’école », disait-elle, car « si les éducateurs d’aujourd’hui étaient féministes, dans vingt ans la révolution féministe serait accomplie »1
Nommée institutrice dans les Deux-Sèvres, elle s’engage pour l’éducation nouvelle.
Mariée, elle part à Paris, découvre les ravages de la guerre: elle sera, après 1918, une pacifiste engagée. Elle rencontre la Franc-Maçonnerie, entre à la Grande Loge Symbolique Mixte de France dans les derniers mois de la guerre. Devenue Grande Secrétaire, elle appelle au rapprochement avec le Droit Humain, qu’elle rejoint en 1922 dont elle devint Grand Maître de 1947 à 1954.
Elle expose ses idées dans des ouvrages théoriques tels que Féminisme et Coéducation et dans deux romans autobiographiques : Les Bourreaux de l’école (1919) et La Sainte Enfance (1921).
Elle y retrace ce que fut sa vie de militante, mais elle peint aussi un monde assombri de préjugés, déstructuré par la guerre, dans laquelle la femme a dû mal à s’émanciper et les enfants sont trop souvent des victimes.
Dans le second volume, La Sainte Enfance (Paris, société mutuelle d’édition, 1921), elle continue à mêler le sort des femmes au sort de l’enfant. Dominique, l’héroïne, réussit enfin l’ouverture d’une école idéale, qu’elle appelle Le Toit familial, maison, école, asile, accueil de l’enfance maltraitée par la société, la famille et les traumatismes de la guerre.
Ses romans mettent en scène des échantillons de la condition féminine : un couple de lesbiennes, une femme de médecin qui s’ennuie en province, une vieille fille qui « au sein de son école, avait oublié le reste du monde », une jeune femme plus libre : « quoique jeune, je connais la vie », une veuve de poilu enceinte après une permission, une femme médecin, en avance sur son temps, qui pratique des avortements.
Dans une conférence publique à Parthenay, elle fait l’éloge du travail de la femme car « la femme au foyer est loin de la réalité tragique au milieu desquelles nous vivons dans notre société actuelle. Encore faut-il l’égalité des salaires, le droit à l’organisation syndicale et l’abolition dans le code des articles donnant le pouvoir exclusif aux hommes. »
Socialiste engagée, elle constate la misère du peuple et, surtout, des femmes prolétaires. Ouvrières d’usines, concierges, modestes artisanes, toutes tentent d’élever des enfants trop souvent destinés à une mort prématurée : manque d’hygiène, alcool ou café pur dans les biberons, logis insalubres, coups, fouet. C’est encore l’époque où la mortalité infantile est forte et où on abandonne à l’assistance publique ceux qu’on ne veut ou ne peut élever. « Ce n’est pas assez, cria-t-elle, violente, ce que nous avons souffert, ce que nous souffrons, puisqu’il nous faut encore que nous soyons maudits dans nos enfants ! »
« Par le seul fait qu’elle est un avant pas vers le principe égalitaire, par le seul fait qu’elle donne à chaque être l’éducation intégrale à laquelle il a droit, abstraction faite de son sexe et de son milieu, par le seul fait qu’elle élève la femme au niveau de son compagnon, la travailleuse au niveau du travailleur, par le seul fait qu’elle relève moralement et socialement toute une moitié de l’humanité malheureuse et exploitée, l’école mixte marquera un pas nouveau vers la cité future, elle est un élément de progrès et elle sera saluée avec le plus vibrant enthousiasme par tous les esprits libérés. »
« On voit surgir l’aube radieuse du jour si longuement attendu où la femme libérée du joug des vieilles servitudes et l’homme affranchi des erreurs du passé formeront le couple idéalement harmonieux uni dans une étroite communauté de pensée et de sentiment que nous avons rêvée depuis des siècles. ».
i In Féminisme et Coéducation, Paris, Librairie des sciences sociales et politiques, 1914
Crédit image de Marguerite Martin : Collection privée, reproduction interdite.