Page 6 et 7 du magazine : La Baule Plus, Interview de Georges Voileau-novembre2019
Georges Voileau : « Nous sommes des hommes et des femmes qui n’ont pas d’autre ambition que de faire progresser la société. »
C’est un événement, un rendez-vous rare : des francs-maçons proposent une conférence ouverte à tous le mardi 19 novembre à 20 heures, à Herbignac. La Fédération française de l’Ordre maçonnique mixte international Le Droit Humain a choisi deux thèmes : Être franc-maçon au Droit Humain au XXIe siècle, par Michelle Gallice, et La mixité dans tous ses états, par Pierrette Grisard. Il s’agit de la première organisation maçonnique au monde à avoir initié et considéré femmes et hommes sur un pied d’égalité. Elle fonctionne depuis 1893 sur ce principe de mixité au titre duquel tout membre peut accéder à tous les grades et toutes les fonctions, partout sur la planète.
A cette occasion, Georges Voileau, Grand Maître de la Fédération française du Droit Humain, a accepté de répondre à une interview exclusive au micro de Yannick Urrien sur Kernews.
Pratique : la conférence de l’ordre maçonnique du Droit Humain aura lieu mardi 19 novembre à 20 heures à la salle de Pompas, 1, rue du Mès, à Pompas, sur la commune d’Herbignac. Réservation conseillée via l’adresse suivante : confdh44600@gmail.com
La Baule + : La franc-maçonnerie reste le marronnier des grands magazines, qui reprennent régulièrement cette caricature d’une société secrète où les gens s’entraident. Avez-vous le sentiment que l’image de la franc-maçonnerie a évolué ?
Georges Voileau : Les marronniers ont des racines profondes… Il est parfois difficile de contrebalancer les idées reçues par rapport à la franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie est un endroit où les hommes et les femmes se réunissent, selon un rituel donné, afin de poser un cadre et considérer que l’homme et la femme sont égaux depuis notre création. C’est écrit dans notre constitution internationale et les fondateurs du Droit Humain voulaient cela sur l’ensemble de la planète. Ces idées d’égalité avancent doucement, aussi portées par des gens qui ne sont pas forcément maçons, mais la maçonnerie est un peu un fer de lance parce qu’elle a été portée par les idées des philosophes des Lumières et c’était à l’époque quelque chose de puissant dans le système. Quand la maçonnerie voit le jour, il y a également des luttes syndicales, des grèves et des modifications sociétales qui sont fortes. Tout cela s’inscrit dans la notion du progrès social et c’est la force de la maçonnerie. Il y a aussi la recherche initiatique, pour savoir qui on est, comment on est, et ainsi pouvoir avancer mieux. Mais après il n’y a aucune influence religieuse, peu importe sa religion, nous sommes avant tout des laïcs. Cela ne signifie pas être anticlérical, cela veut dire vivre ensemble et construire ensemble, une fois que l’on a compris ce qui nous sépare.
Vous évoquez les différences religieuses, mais, à part la langue de prière, les rites et la manière de prier, y en a-t-il vraiment entre les religions ?
D’abord, je rappelle que la maçonnerie n’est pas une religion, mais dans l’analyse des religions, bien sûr, il n’y a pas grand-chose qui sépare les religions. Il y a des maçons qui croient en une puissance suprême, c’est leur droit, heureusement, il y a d’ailleurs des obédiences dans lesquelles on prête serment sur la Bible. Au Droit Humain, on prête serment sur notre constitution internationale, mais à l’intérieur du Droit Humain on peut travailler à la gloire du Grand architecte de l’univers: pour certains, c’est Dieu, pour d’autres c’est un système au-dessus et, pour d’autres encore,c’est seulement un symbole. Je suis plutôt dans la tendance du symbole, parce que je pense que le progrès de l’humanité est au-dessus. Mais au Droit Humain, les maçons ont le droit de penser ce qu’ils veulent, tant qu’ils respectent la laïcité.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres obédiences ?
Essentiellement la notion d’égalité de la femme de l’homme dès notre création. En 1893, on imagine l’égalité des droits pour l’ensemble des êtres humains sur toute la planète. C’est essentiellement ce qui nous distingue des autres obédiences.
Cette différence s’estompe au fil des décennies…
Il est vrai que des frères d’autres obédiences reconnaissent cette mixité, mais leur fonctionnement, à l’exception de la Grande Loge mixte ou de la Grande Loge mixte de France, n’est pas le même. Il est vrai que d’autres obédiences ont commencé à s’ouvrir aux soeurs, mais avec des systèmes différents qui préservent leurs fondations. Par exemple, la Grande Loge de France ne recevra jamais de soeurs de manière très précise. C’est leur choix et je ne porte pas de jugement. Dans notre société civile, il y a bien des clubs où les hommes se réunissent entre eux et d’autres clubs où les femmes se réunissent entre elles…
Est-ce parce que vous réfléchissez sur ce que nous sommes, sur notre rôle sur Terre, sur l’engagement d’une vie, que l’on retrouve une surreprésentation de professions intellectuelles ou juridiques dans la franc-maçonnerie ?
Nous sommes ouverts à toutes les catégories sociales, mais il est vrai que nous sommes dans un système qui nécessite du temps libre, puisqu’il faut s’engager. Il faut se réunir deux fois par mois pendant dix mois, de septembre à juin, parce que la maçonnerie s’acquiert par imprégnation. Il faut être assidu, on ne peut pas faire de la maçonnerie derrière son ordinateur… Donc, il est vrai que cela fait un tri et qu’il y a davantage de catégories socioprofessionnelles intellectuelles. On lutte contre cela, c’est difficile. Mais dans nos loges, j’ai rencontré des agriculteurs, des ouvriers, des employés de bureau, des professeurs de droit, des ingénieurs, des instituteurs… Toutefois, c’est vrai, si j’ai envie de me battre pour un progrès social, je ne vais pas aller vers la maçonnerie, mais vers le groupe d’hommes et de femmes qui va défendre mes intérêts personnels.
Vous parlez beaucoup du progrès social, qui est associé politiquement au combat de la gauche : peut-on être pour le progrès social tout en étant libéral ? Par exemple, un défenseur du progrès social préconisera davantage de logements sociaux, tandis qu’un libéral favorisera le développement du parc privé afin de faire baisser le prix des loyers et ainsi permettre aux plus modestes de se loger. Idem pour la fiscalité…
Il peut y avoir plusieurs définitions du mot libéral. La maçonnerie est libérale. Le maçon est libre. Il frappe à la porte de notre temple de sa propre et libre volonté. Après, il y a la notion de solidarité, qui est intrinsèque à notre fonctionnement. Les maçons vont pouvoir imaginer un progrès social, sans être naïfs, en ayant en tête l’ensemble des hypothèses qui forment notre société et, à partir de ce moment-là, travailler comme il faut. Quand on soutient la procréation médicalement assistée, on considère que c’est un progrès social. On va se battre pour l’ouverture de droits à un maximum d’hommes et de femmes. Plus on ouvre des droits, plus on va vers le progrès social, puisqu’il y aura des prises de conscience et des responsabilisations.
Quelle est votre position sur l’affaire du voile islamique ?
Nous avons fait passer une note sur la représentativité de la religion à l’intérieur du service public. On ne peut pas empêcher les hommes et les femmes de s’habiller selon leurs croyances quand ils sont dans la rue, sauf à se faire reconnaître. Il faut que le visage soit complètement visible, sinon on n’est plus dans le respect de nos règles légales. C’est un vrai problème d’État.
Lorsque j’évoque le voile islamique, il s’agit de celui qui exprime un islam radical et qui véhicule un message politique. Je ne parle pas du foulard que l’on voit chez de nombreuses femmes dans les pays du Maghreb. Ma question porte sur le voile politique, que certains pays arabes interdisent !
On n’empêchera pas les extrémistes, on les empêchera par la culture partagée, ces islamistes extrémistes devront faire leur aggionarmento… Je crois que le monde de l’islam en France est en train de faire cela, mais ils n’empêcheront pas les extrémistes. Vous n’empêcherez pas les catholiques extrémistes… Cela a existé. Parfois, j’ai un peu peur quand je vois des hommes et des femmes s’attacher à des lits dans des cliniques pour dénoncer l’interruption volontaire de grossesse. Je suis dans le respect de la libre conscience. Cela veut dire qu’il faut que l’on puisse pousser le plus loin possible l’ensemble des vecteurs culturels pour justement mesurer ce qui nous sépare et ensuite construire ensemble une société civile où la paix et l’harmonie règnent. C’est un travail de tous les jours.
Le Droit Humain donne des conférences dans toute la France, comme à Herbignac le 19 novembre : l’objectif est-il de démystifier ce que vous êtes et d’inciter les gens à venir travailler avec vous ?
Il y a la réponse dans votre question : c’est se faire connaître, c’est démystifier, c’est se faire connaître dans notre vrai visage. Nous sommes des hommes et des femmes qui n’ont pas d’autre ambition que de faire progresser la société. Il faut démystifier cette notion du secret parce que, s’il y avait réellement un secret, il n’y aurait pas des milliers de livres pour en parler.
Propos recueillis par Yannick Urrien