Génétique et prédictivité – quel progrès pour l’humanité ? – 1/06/2013

CBE05 – Génétique et prédictivité, quel progrès pour l’humanité ?

La place prise au cours des dix dernières années par la génétique dans notre société justifie le choix de ce thème de réflexion.

Cette discipline est en effet entrée dans notre quotidien pour identifier les personnes, modifier les propriétés du vivant (OGM) ou encore, et c’est ce qui nous intéresse ici, pour prédire l’apparition de maladies. Là où le diagnostic identifie une maladie par ses symptômes, une nouvelle médecine dite « prédictive », basée sur des informations génétiques, a ainsi vu le jour. Elle évalue le risque d’apparition d’une maladie dans le but d’informer le sujet (ou les parents dans le cadre de la procréation) et de proposer des mesures de surveillance ou de prévention.

La médecine prédictive est une médecine de l’individu sain ou supposé tel. C’est une médecine de dépistage, que l’on pourrait qualifier de préventive personnalisée : prédire pour prévenir.

Approche technique de la médecine prédictive

Les tests dits génétiques sont des examens de génétique moléculaire à partir de l’ADN prélevé par simple écouvillonnage de la muqueuse buccale ou par prise de sang. L’évolution technologique laisse penser que le séquençage complet du génome d’un individu sera possible en quelques heures et qu’il pourra figurer sur sa carte vitale.

Il peut s’agir :

  • de test de diagnostic : pour confirmer l’origine génétique d’une maladie.
  • de test d’identification d’un porteur sain : pour un sujet non malade mais porteur d’une anomalie génétique qu’il est susceptible de transmettre à sa descendance, et laquelle pourrait alors développer la maladie (par exemple : la mucoviscidose, …).
  • de test pré-symptomatique : pour mettre en évidence une anomalie génétique qui va entraîner l’apparition plus ou moins tardive de la maladie avec une expression variable. Il s’agit alors de maladies monogéniques (la mutation porte sur un seul gène).

L’exemple emblématique est la chorée de Huntington dont le risque d’apparition est proche de 100 %. Cette maladie neurologique se déclare à l’âge adulte, est toujours rapidement fatale et actuellement sans moyen thérapeutique.

C’est le cas aussi de l’hémochromatose (pour laquelle des saignées répétées vont éviter l’apparition de la cirrhose et du cancer du foie) ou de la polypose colique familiale (pour laquelle l’ablation préventive des polypes évitera l’apparition du cancer du colon).

  • de test de prédisposition : il a pour but de rechercher une mutation d’un ou plusieurs gènes dans certaines familles qui développent plus fréquemment certaines affections telles le cancer du sein, de l’ovaire, du colon, la maladie d’Alzheimer, le diabète insulino-dépendant, …

La personne qui n’est pas porteuse de la mutation familiale reste exposée aux mêmes risques que le reste de la population.

  • de test de susceptibilité : certaines maladies dites communes (hypertension artérielle, dyslipidémie…), sont sous la dépendance conjointe de plusieurs gènes et sont soumises à de nombreux facteurs environnementaux (présence de toxiques, de perturbateurs endocriniens..), médicaux (association à une autre pathologie : virale, …) et épigénétiques (modifications acquises et éventuellement transmissibles) dont la présence ou l’influence est nécessaire pour que la maladie apparaisse. On parle de terrain de susceptibilité génétique et être porteur d’un marqueur génétique n’augmente que de peu la probabilité de développer la maladie correspondante.

En résumé : si certaines maladies sont directement liées à la présence d’une anomalie génétique, beaucoup d’autres sont multifactorielles : elles dépendent de plusieurs facteurs, dont certains seulement sont génétiques ; dans de tels cas, ce n’est pas parce qu’un sujet est porteur d’une anomalie génétique, marqueur d’une maladie, qu’il va forcément développer la maladie. Comment pouvons/devons-nous comprendre le sens et envisager une action à partir par exemple d’un risque de 15% de développer une maladie ? Cette médecine prédictive modifie alors notre relation aux soins. Elle implique l’incertitude sur notre état de santé et engendre donc un autre exercice de notre responsabilité et de notre relation au médecin-sachant.

Avec l’accès au séquençage du génome, un des enjeux de la médecine prédictive est représenté par le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) qui donnent la possibilité de connaître certaines « caractéristiques » d’un enfant à naître, dont les anomalies génétiques ou chromosomiques suspectées. Le DPI permet, par le choix de l’embryon à implanter lors d’une fécondation in vitro, de s’assurer que l’enfant à naître ne développera pas la pathologie recherchée (c’est une médecine d’évitement). Le DPN, fait le plus souvent par amniocentèse, est lui à l’aube d’une révolution représentée par la recherche des caractéristiques génétiques du fœtus à partir du sang maternel. Cela veut dire que l’on pourra bientôt proposer aux femmes enceintes, une simple prise de sang pouvant amener à une interruption précoce de grossesse en fonction des caractéristiques génétiques de l’enfant à naître.

Ces techniques posent leur lot de questionnements propres. Quelles limites fixer à la recherche d’un enfant en bonne santé ? Quand on sait que certains pays autorisent déjà le choix du sexe de l’enfant à naître, où fixer les limites des investigations ? La recherche de l’enfant parfait, une chimère basée sur l’idée que nous pourrions définir et éviter toutes les prédispositions génétiques aux maladies, pourrait entraîner un grand nombre d’élimination d’embryons (suite à des DPI) ou d’interruptions de grossesse (suite à des DPN). Ceci doit nous pousser à réfléchir sur les risques réels de dérive eugénique.

Signalons aussi qu’en thérapeutique la pharmacogénétique qui étudie la variabilité des réponses aux médicaments en fonction du génome, prend une importance grandissante, laissant penser que certains traitements, notamment les chimiothérapies pour les cancers, seront prescrits en fonction de données génétiques des patients.

Mais la génétique, en l’état, n’est pas toute-puissante pour prédire à elle seule l’apparition certaine des maladies : le mode de vie, l’environnement, l’exposition à certains virus ou toxiques vont modifier l’utilisation par l’organisme des informations génétiques. Toutes les maladies ne sont pas innées inscrites dans le génome, mais l’acquis, qui peut même modifier l’expression génétique et être transmis à la descendance joue un rôle important, voire essentiel dans leur apparition. On ne peut s’abandonner au déterminisme tout génétique, d’autant que tout ne peut pas se prédire : maladies infectieuses, accidents, …

Si dans sa technique la médecine prédictive reste affaire de spécialistes, les problèmes éthiques qu’elle soulève peuvent et doivent être appréhendés par tous.

Enjeux bioéthiques de la médecine prédictive

Notre réflexion bioéthique sera guidée par les principes qui fondent notre Ordre : Liberté, Egalité, Fraternité.

Médecine prédictive et liberté

La Convention d’Oviedo 1 précise :

  • Que l’on est libre d’accepter ou de refuser un test génétique.
  • Que l’on est libre d’en savoir ou non le résultat.

L’incertitude, ne pas savoir, peut être choisie comme un espace de liberté.

Que l’on est libre de le faire savoir à sa parentèle concernée, soit directement, soit anonymement par l’intermédiaire de son médecin (via une procédure codifiée). Néanmoins, en cas de refus de communication, et si des mesures préventives ou thérapeutiques existent pour la parentèle, le sujet s’expose aux risques de poursuite pour non assistance à personne en danger.

Comment un individu aujourd’hui en bonne santé peut-il vivre dans la perspective d’une maladie annoncée ?

D’autre part, le sujet reste libre de garder « son secret génétique » ou d’en faire « un secret de famille », mais ce secret, qui est inscrit dans les archives des laboratoires de biologie, ne pourra-t-il pas être divulgué ? Les résultats biologiques et leurs interprétations sont légalement conservés 30 ans. Et après ?

Sur Internet, de nombreuses sociétés proposent des tests génétiques, parfois très approfondis. Quelle garantie pérenne de leur confidentialité et de leur utilisation future avons-nous ? Ajoutons, dans le cas particulier d’Internet, que le résultat n’est généralement accompagné d’aucune consultation de conseil génétique et on ne connait pas l’impact de la connaissance de son génome sur l’imaginaire et le vécu de chacun.2

Médecine prédictive et égalité

La médecine prédictive, en désignant à l’avance ceux qui risquent d’être malades, ou non, menace l’égalité dans son principe et peut être source de discrimination.

Certes, la loi affirme que « nul ne peut faire l’objet de discrimination en raison de ses caractéristiques génétiques ». Cependant, en raison du risque de stigmatisation des personnes suivant leur profil génétique, la mise à disposition de ces résultats doit être étroitement encadrée. Ceci d’autant plus que certaines susceptibilités sont liées à l’appartenance à des groupes ethniques (populations méditerranéennes, sujets d’origine africaine ou asiatique, par exemple). Actuellement, la recherche de susceptibilités génétiques est interdite dans le domaine du travail ou de l’assurance. Les assurances se sont elle-même engagées à ne pas demander ni accepter de voir le profil génétique de leurs assurés. Mais cet engagement est régulièrement renouvelable, et on peut se demander jusqu’à quand durera cette autocensure des assurances pour connaître les pathologies potentielles ou l’espérance de vie de leurs clients ?

Les médecins du travail peuvent, par la connaissance du profil génétique des employés, écarter ceux-ci des postes de travail où l’exposition à des facteurs environnementaux serait nuisible pour leur santé, ce qui est très positif. A l’opposé peut-on assurer que le profil génétique d’un employé ne sera pas rédhibitoire pour trouver un emploi demain ?

L’accès aux tests génétiques se fera- t-il également pour tous ? Lorsque l’on voit la partition du Monde en matière de diagnostic, prévention et traitement du SIDA par exemple, on peut douter fortement de l’instauration d’une médecine prédictive pour tous… Le progrès ne sera que pour une partie de l’humanité.

Médecine prédictive, solidarité et fraternité

Notre système de sécurité sociale en France est basé sur la solidarité entre personnes bien portantes et personnes malades. Qu’en sera-t-il quand une partie d’entre nous se saura naturellement protégée ? Les tests génétiques ne peuvent-il pas ouvrir la voie à la création de groupes sociaux composés de sujets à « profil choisi » ? La prédiction génétique risque de renforcer encore l’individualisme déjà présent dans notre société.

Aspects économiques de la médecine prédictive

Les tests de prédisposition ou de dépistage pré-symptomatique permettent-ils d’augmenter la qualité et la durée de vie et, si oui, à quels coûts ? L’évaluation économique de la médecine prédictive est nécessaire même si elle est complexe. Elle dépend en effet du nombre de personnes concernées, des moyens de prévention disponibles, de la valeur prédictive des tests, des coûts liés à la mise en œuvre des tests de dépistage et à la prise en charge médicale des personnes identifiées à risque (coûts des examens complémentaires, des soins, du suivi, …). En général, le coût des tests eux mêmes est minime comparé à ceux de la mise en place du dépistage, d’une consultation de conseil génétique, du suivi des patients et des interventions proposées, sauf dans le cas où les tests sont brevetés et/ou font appel à des technologies couteuses.

Un des problèmes réside dans la détection de personnes à risque mais dont la maladie ne se développera jamais, à qui l’on donne un traitement coûteux, inutile et présentant parfois des effets secondaire. Il faut tenir compte des pressions qui peuvent être exercées par divers groupes (firmes pharmaceutiques, sociétés de biotechnologie, associations de malades) dont l’intérêt est de prescrire des traitements préventifs qui pourraient éventuellement bénéficier aux personnes susceptibles. Ces traitements amèneraient à médicaliser une large population dont une faible proportion seulement développerait la maladie.

Il est donc nécessaire d’évaluer la pertinence de la mise en place de ces nouveaux tests au nom de la santé publique, en mesurant non seulement les bénéfices et les risques au niveau individuel mais aussi au niveau d’un groupe de population, voire la société tout entière.

La médecine prédictive est-elle un progrès pour l’humanité ?

La médecine prédictive, qui sera l’une des composantes importantes de la médecine de demain, visant à prédire pour prévenir, va faire des médecins des conseillers de personnes bien portantes, qui, comme l’a dit le docteur Knock, sont en fait « des malades qui s’ignorent ». Cette évolution médicale extraordinaire va engendrer une révolution culturelle pour l’Humanité, qui peut être dangereuse si elle n’est pas encadrée de façon très ferme au niveau mondial. C’est ce qu’encourage – mais sans contraindre – la Déclaration Universelle sur le génome humain et les droits de l’Homme de l’UNESCO3.

L’ère de la médecine prédictive devra impliquer non seulement les généticiens et les médecins, mais également les responsables de l’emploi, les assureurs, les sociologues, les psychologues, les anthropologues, les économistes et les juristes. C’est la condition qui permettra de faire de la médecine prédictive un progrès pour l’humanité et pour éviter qu’elle ne soit détournée vers des usages inacceptables. Elle doit être prise en compte d’un point de vue sociétal par l’ensemble des acteurs de la société civile.

Ainsi,

Au nom de la liberté, les personnes doivent avoir, en France, librement accès à leur propre information génétique dans un cadre qui les informe et les protège des interprétations prédictives alarmistes et infondées.

Au nom de d’égalité, et pour éviter toute discrimination, ces informations doivent rester strictement confidentielles, n’être utilisées que dans un cadre médical individuel, et toujours être obtenues après le consentement des personnes.

Au nom de la fraternité, nous avons une obligation de conseil à la mesure de l’impact psychologique qu’ont les informations génétiques sur les personnes. Par ailleurs, aucun système de sélection dans des domaines comme l’éducation, l’emploi, les assurances, … ne doit être fondé sur des informations génétiques individuelles.

La médecine prédictive est une médecine de probabilité et non de certitude. Dans la prévention des maladies et l’adaptation des traitements, elle est un outil au service de l’humanité. Mais une grande vigilance s’impose pour que soient préservés nos principes d’égalité, de liberté et de fraternité permettant d’éviter toute dérive portant atteinte à l’altérité, l’intégrité et la dignité humaine. L’humain ne se réduit pas à son patrimoine génétique, il se construit avec l’environnent et surtout avec l’autre.

1 La Convention d’Oviedo émanant du Conseil de l’Europe, Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, signée dès l’origine par la France, ratifiée le 14.12.2011 et applicable depuis le 1.04.2012

2 La loi du 7 juillet 2011 de révision des lois de bioéthique a introduit dans le Code de la Santé Publique au point 9 de l’article L1418-1 une disposition prévoyant dans les missions de l’Agence de la Biomédecine « de mettre à disposition du public une information sur l’utilisation des tests génétiques en accès libre et d’élaborer un référentiel permettant d’en évaluer la qualité. »

3 Res 29 c/16 du 11 novembre 1997

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