Comment concilier progrès de l’humanité et développement durable ?

« Le plus grand défi du siècle pour l’avenir de l’homme est la préservation de la planète. Comment pourrons-nous concilier le progrès de l’humanité avec pour corollaire le développement durable et convaincre les Etats et les citoyens d’accepter les contraintes qui s’imposent ? »

Synthèse de la Question sociale 2008

Il est des questions qui embarrassent et la question 2008 par son ampleur en fait partie. Librement choisie lors du convent 2007, elle a débouché sur un diagnostic et sur des propositions visant à concilier le progrès de l’humanité avec le développement durable.

1- Pour une conception humaniste du développement durable

Le mot et la chose

La complexité des problèmes contenus dans le terme de développement durable et l’omniprésence du mot dans l’espace public peuvent laisser perplexes voire inviter à une certaine méfiance. Avant de recouvrir une réalité planétaire au devenir menaçant, le développement durable est d’abord un terme sur lequel il faut s’arrêter tant il est vrai qu’il recouvre à la fois une évidence et un immense problème. Ce mot est galvaudé, répété à tout bout de champ, inlassablement traité par les médias, utilisé par un nombre d’acteurs (politiques, économiques, internationaux, associatifs) ce qui accroît la confusion plus que l’intelligibilité. Ce terme fourre-tout invite à se demander s’il ne s’agit pas d’une nouvelle idéologie, d’un dogme contraire à nos principes, d’une affaire de nantis voire d’une « notion occidentalo-centrée » qui peut aller de l’angélisme au plus parfait cynisme. L’opacité, l’ambiguïté du mot peuvent même conduire certains tenants de la décroissance à voir en lui une contradiction dans les termes. Il est donc important d’y voir plus clair et de poursuivre l’investigation, malgré le flou conceptuel et politique, malgré les doutes sur les instruments à adopter, malgré la difficulté d’articulation et de définition des échelles pertinentes. Quelle que soit la multitude d’acteurs et la prégnance des conflits, le développement durable a acquis une dimension mondiale, on ne saurait l’ignorer ni s’en détourner, aussi est il l’occasion, le prétexte et le moment d’effectuer des choix conformes à nos valeurs.

Comprendre le développement durable suppose que l’on revienne aux textes fondateurs qui le définissent et le campent à travers le monde. La référence au rapport Brundtland qui en 1987 introduit et consacre ce terme est incontournable. L’extrait de la section 2 définit le développement durable comme « le processus permettant de satisfaire les besoins de la génération présente sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».

L’appel aux autres grands moments et grands textes est tout aussi important à rappeler : convention de Stockholm, sommets de Rio et Johannesburg, positions de l’Union Européenne etc. De ces références majeures nous retenons la vision des trois piliers ou des trois cercles qui, dans la foulée du texte de 2002 « Stratégie de l’Union Européenne en faveur du développement durable » et de la Charte de l’Environnement adossée à la Constitution française en 2005, imbrique développement économique et social et respect environnemental On peut ainsi comprendre les trois préoccupations majeures (écologique, économique et social) comme trois cercles interdépendants, comportant une zone commune : le développement durable. Le premier cercle écologique partage avec l’économique le caractère viable, avec le social le vivable, le social et l’économique se partagent l’obligation d’être équitable. La réalité et les perspectives contenues dans le développement durable sont multiples : changement climatique, crise énergétique, extinction de certaines espèces, épuisement des ressources, raréfaction de l’eau potable, pollutions chimiques, maladies émergentes etc. Ces défis engagent de lourdes conséquences sur les plans des modes de production, de consommation, d’emploi, de santé, de transport, d’aménagement du territoire, de l’habitat etc. La technicité ou particularité de ces points nous ramène aux dimensions fondamentales du vivre ensemble : quelles solidarités envisager ?

Quel fonctionnement démocratique ?

Quels modes de croissance ?

Quelles relations avec les pays du sud ?

Derrière le terme est en effet pointée une réalité concernant notre milieu de vie que les conclusions d’experts (GIEC notamment) et de personnalités estiment compromise voire en danger. Les grandes forces de la nature sont en jeu : l’air, l’eau, la terre et le feu sont menacés, l’équilibre du monde humain, animal, végétal et minéral est compromis. Si la vie biologique est menacée, la vie humaine voit se profiler la perspective de guerres et de famines liées à une utilisation inégalitaire des ressources naturelles.

Retour aux valeurs

Avant de répondre à la question « que faire ? », il est essentiel d’insister sur le rôle du faire, sur la capacité humaine à organiser voire ordonner le monde. Le fatalisme ou l’attentisme ne sont pas des solutions : les citoyens ne peuvent remettre au temps ou au hasard l’évolution du cours du monde d’autant plus que selon certains scenarios l’évolution peut être implacable et transformer notre vie en pénible survie. Sans céder ni au pessimisme ni à l’alarmisme, il revient à chacun de prendre ou de reprendre en mains notre présent et notre avenir.

Le développement durable est une opportunité en ce sens, il peut nous permettre de repenser les valeurs qui accompagnent nécessairement le progrès et nous permettre de façonner le visage du monde que les êtres humains veulent construire et dans lequel ils veulent vivre.

Avant d’apporter des réponses et des solutions, la réflexion doit se situer en amont, participant d’un volontarisme résolu qui seul permet de construire une réponse humaine aux défis actuels, l’important étant d’être auteur et non victime de notre développement. Le développement durable est un prolongement d’une conception de l’Humanité plaçant l’homme au cœur de la réflexion et de l’action.

Le premier enjeu est ainsi une conception de l’humanisme, du rôle et de la place de l’homme dans l’univers. Nous agissons comme si nous étions immortels et comme si nos ressources étaient inépuisables, il est dans ce cadre important de retrouver le sens de la mesure dans nos besoins et notre usage du monde, de changer de regard et de revenir à l’humanisme au croisement entre croissance infinie et monde fini.

Le second enjeu concerne la forme moderne et à venir de la solidarité. Penser la fraternité à l’heure du développement durable, c’est déployer la solidarité dans l’espace (le nord et le sud de la planète) et dans le temps (générations présentes et à venir), sous une forme à la fois contiguë et continue. Nous tenons à rappeler à ceux, très nombreux, qui ne retiennent du rapport Brundtland que la dimension intergénérationnelle que la dimension intergénérationnelle est tout aussi importante. Il convient d’agir entre générations mais aussi au sein d’une même génération, auprès de nos contemporains partout dans le monde. La reconstruction du lien social, l’établissement d’un nouveau contrat social voire une citoyenneté mondiale sont ici en jeu. C’est le moment et l’occasion de passer d’une interdépendance subie à une solidarité voulue et qu’il convient d’organiser au sein de nos sociétés et à travers la planète.

Le troisième enjeu est la conception du progrès revue dans un monde en mutation et animée par un objectif de libération et de bonheur de l’humanité. Le développement durable pose la question du sens du progrès technique qu’il convient de rapporter à une perspective humaine. Nous ne sommes ni technophobes ni technophiles et pensons que la question du progrès est celle de la maîtrise du progrès. Sur ce point la responsabilité humaine est centrale, elle consiste à assumer ses actes et accepter d’en subir les conséquences ici et ailleurs, aujourd’hui et demain.

2- Les pistes d’action suggérées

La réorientation de l’action nous appartient et il ne sert à rien d’attendre un sauveur. La confiance dans la capacité humaine d’action et de réaction ne fait guère de doute, elle est d’ailleurs prouvée par un certain nombre de points positifs tels que la réduction du trou d’ozone consécutive à l’abandon des CFC ou encore la généralisation du tri sélectif. Le foisonnement des pistes envisagées (foisonnement à la mesure du périmètre de la question posée) sera ordonné autour de trois points : la posture, le niveau de l’action et les types d’actions.

La posture

Sur le plan de la posture qui commande l’action à venir, nous insistons sur le fait que la réponse à apporter est fondamentalement humaine et pas seulement technique. Il ne nous reste qu’une seule alternative, devenir intelligents ensemble ou disparaître. Sans verser dans la dramatisation ni le catastrophisme il est possible d’agir au quotidien et de montrer l’exemple et de peser sur le choix des décideurs. Les citoyens peuvent être des éveilleurs dans ce domaine. La réalisation du développement durable passe d’abord et fondamentalement par une réorientation des choix : Faire, Etre et Avoir autrement. Nous préconisons une conversion de la posture qui consiste à passer de l’avoir à l’être, de la propriété au partage, à penser globalement l’action, à ne plus penser les problèmes de manière isolée, à retrouver le sens du continuum des êtres et du monde, à agir localement en pensant globalement.

Le développement durable est une occasion pour affirmer des choix et parmi les choix que nous proposons, la dimension sociale du Développement Durable nous semble mériter d’être renforcée voire placée au centre. La perspective d’une harmonie entre les hommes et la nature passe par une meilleure cohésion sociale entre les hommes. La dimension sociale du développement durable est selon nous trop peu étudiée et prise en compte alors qu’elle engage des aspects essentiels. Le primat du pôle environnemental est bien souvent, ci et là souligné, ceci est important mais insuffisant. Le versant social du développement durable est négligé, aussi un débat est à instaurer sur sa place voire sa prééminence (par rapport à l’environnemental et à l’économique) et sur les déclinaisons d’un social durable qui aujourd’hui n’est pas suffisamment considéré. L’objectif social du développement durable vise le développement humain, partout où il y a des hommes. Dans cette perspective, l’égalité de répartition, l’accès à des biens ou services essentiels (eau, santé, éducation), la responsabilité politique et une citoyenneté active doivent être promues et faire l’objet de mesures concrètes. Sur ce point, l’égalité des hommes et des femmes doit être réaffirmée et concrétisée tant dans la cité que dans le monde du travail. Des politiques sociales de respect, de promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes méritent d’être développées ainsi que des mesures de respect des diversités culturelles.

Le niveau de l’action

Le niveau de l’action à mener est sur ce sujet démultiplié car il engage autant les individus que le niveau régional, national et international. L’action des individus pour laquelle de nombreux exemples sont donnés (gestes citoyens au quotidien) s’imbrique dans des actions menées par les collectivités locales, par l’Etat et par les instances internationales. L’action individuelle se situe sur plusieurs plans : les bons gestes au quotidien (rapport responsable à la consommation des biens et des ressources), exemplarité et transmission de ces gestes mais aussi comportement de citoyen informé et vigilant envers les instances politiques locales et élargies. La disparité des mesures en vigueur sur le territoire dans différents domaines (alimentation bio dans les cantines scolaires, retraitement des déchets etc) montre bien que l’intervention des citoyens pèse très fortement sur le choix des décideurs. Le rôle de l’Etat est essentiel et mérite d’être accentué. Si un bon nombre de structures existe (ministère, conseil national du développement durable, stratégie nationale de développement durable etc), il est important que l’Etat et les administrations publiques aient en France (comme c’est le cas au Québec) un rôle exemplaire et par un engagement fort, soient forces de proposition, d’innovation voire d’obligations. En matière d’éducation et afin d’aller plus loin, nous avançons ainsi la proposition inédite d’un service environnemental citoyen proposé aux jeunes (conçu sur le modèle de la journée d’appel). Le rôle des instances internationales en matière d’orientation et d’éducation est positif, cependant il mérite une systématisation et une meilleure coordination aussi rejoignons- nous la proposition de création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement. Acteurs individuels, institutionnels, politiques mais aussi économiques sont concernés. La responsabilité des entreprises qui génèrent bon nombre d’externalités négatives doit être encadrée, stimulée (par exemple par un système de labellisation, environnementale mais aussi sociale) et évaluée. La prise en compte des droits de l’homme dans l’organisation et les relations contractuelles des entreprises est un enjeu important de la dimension sociale du développement durable qui mérite d’être affirmé et reconnu.

Les types d’actions

S’il est vrai que de nombreuses mesures existent déjà ou sont suggérées ci et là, il convient de faire un tri parmi les propositions, de les mesurer, de détecter au passage les fausses bonnes solutions tels que les biocarburants qui ont eu un effet désastreux sur le cours mondial des matières premières agricoles et donc pointer les axes qui nous sont essentiels. La voie coercitive ne suffit pas. Il est important de préserver les libertés individuelles aussi une dialectique faite de coercition et d’incitation est elle à inventer. La voie de l’imagination et de l’innovation est à développer : la recherche peut apporter des solutions intéressantes (dans le domaine technique mais pas seulement). Généraliser l’éco conception, développer et relier les projets innovants contribuent à l’instauration et à la diffusion de nouvelles manières d’agir, de produire et de consommer. L’éducation et l’information sont essentielles, le rôle de l’Education Nationale et des médias est déterminant tandis que le rôle de la publicité trop souvent incitative à la surconsommation mériterait d’être réorienté. Former, informer pour transformer les pratiques est un leitmotiv récurrent, les jeunes et les enfants devant faire l’objet d’une attention particulière.

3- Redéfinir le progrès par un projet de société

La réflexion sur le couple progrès-développement durable invite à se demander quelle société nous voulons pour demain et quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour y arriver ? Il s’agit de mettre le progrès au service d’un projet de société et donc de resituer le progrès sur trois plans, d’interroger les relations entre progrès et trois points décisifs.

Progrès et croissance

Le développement durable est une occasion de repenser les finalités mais aussi les modalités de l’activité économique. La question de la société de consommation et de la production consommation infinie d’objets invite à envisager les contours d’une croissance responsable ;

– Pour cela il convient de repenser la croissance, dans son rythme et ses modalités mais aussi dans la manière de l’évaluer. La mesure par le PIB devrait être contrebalancée au-delà de l’existant par la définition d’autres indicateurs aux composantes élargies incluant par exemples l’illettrisme, le taux de pauvreté, l’égalité des sexes, etc. Rappelons également que la croissance est aussi celle de la culture et des échanges.

– Il convient de repenser le rôle du marché, d’inscrire les composantes du DD dans ce cadre ce qui passe par la proposition et la promotion de biens-services environnementalement et socialement respectueux.

– Le levier financier et fiscal donnant une valeur monétaire à la qualité de l’environnement et un coût à sa dégradation peut être envisagé ce qui engage une large palette de possibilités.

Progrès et démocratie

Dimensions juridique et politique sont ici entrelacées. La question du droit est un point important des discussions en cours. Après la première génération des droits individuels et politiques (déclaration des droits de l’homme et du citoyen) puis des droits économiques et sociaux proclamés en 1946, l’heure n’est-elle pas au droit de l’environnement et de la solidarité, droit qui doit être distingué du droit de la nature ? Il convient de développer des modes de gouvernance participatifs : renforcer les contrepoids et contrepouvoirs, les débats publics citoyens, donner une place à une démocratie de proximité, miser sur le rôle des associations, vecteurs de démultiplication des propositions et des actions permettant aux citoyens de se connaître et d’agir ensemble.

Progrès et justice

Les inégalités criantes doivent être jugulées. Il n’est pas acceptable que 40% de la population mondiale soit deux milliards et demi d’humains vivent avec moins de deux dollars par jour ou que 500 personnes aient un revenu supérieur à celui des 416 millions les plus pauvres (source : rapport mondial 2005 sur le développement humain, PNUD) L’occasion se présente de repenser le rôle des pays riches qui devraient mettre en place des politiques de lutte contre la pauvreté à la fois en leur sein et en direction des pays frappés par la pauvreté, engager un partage de ce qui est disponible (ressources et savoir) et instaurer une redistribution pour un développement futur de notre planète. L’horizon du commerce équitable qui consiste à payer les matières premières à leur juste prix s’inscrit ainsi dans ce souci du respect de la dignité des hommes.

Conclusion

Si la mauvaise trajectoire du progrès est entrevue ou explorée, la bonne trajectoire est difficile à cerner. L’idée d’une terre en héritage et d’un devoir citoyen à l’égard de la planète, de ses ressources, de son avenir a fait du chemin à travers le monde mais ce chemin ne fait que commencer et il y a urgence en la matière. Au fil de la réflexion, le développement durable apparaît autant comme un horizon que comme un processus, comme un idéal à viser et comme le creuset de comportements quotidiens. Nous envisageons ce cheminement sur deux plans :

– Retour aux valeurs et à la conscience agissante Contre la fatalité et la peur envers les menaces présentes et à venir, il s’agit de prendre pied en redéfinissant les enjeux, les valeurs et les modalités de l’action sur le monde. Nous avons un rôle à jouer en qualité de citoyen du monde et en conformité avec notre idéal humaniste. Le progrès revêt une dimension morale, intellectuelle et spirituelle et suppose des choix qui introduisent de l’équilibre, de la solidarité et de la responsabilité dans le progrès humain.

– Des propositions concrètes Nos propositions sont à la fois réalistes et concrètes : mettre l’accent sur le volet social du DD sur un plan national et international, miser sur le rôle d’éveilleur des citoyens et le rôle exemplaire de l’Etat (l’idée d’instaurer un service citoyen environnemental trouvant ici tout son sens), repenser le fonctionnement du marché et la définition des indicateurs de croissance à la lumière de nos valeurs.

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